Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 30 OCTOBRE 2006
Sélectionnons, sélectionnons : il en sortira toujours quelques chefs-d’œuvre : “ Les sous-sols du Révolu ” par Marc-Antoine Mathieu, “ Lily Love Peacock ” par Fred Bernard, “ Un homme est mort ” par Etienne Davodeau et Kris, “ Jacob le cafard ” par Will Eisner et “ Les cinq conteurs de Bagdad ” par Frantz Duchazeau et Fabien Velhman.
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“ Les sous-sols du Révolu ” par Marc-Antoine Mathieu
Editions Futuropolis (16 Euros)
Suite à la proposition conjointe du Musée du Louvre et des éditions Futuropolis d’intégrer leur collection de bandes dessinées, le scénographe Marc-Antoine Mathieu a d’abord réfléchi sur la compatibilité des différents médiums de l’image. Alors que Nicolas de Crécy avait pris le parti de travailler sur les œuvres elles-mêmes, dans son excellent «Période glaciaire» (premier album de ce label thématique, à qui l’auteur de «Julius Corentin Acquefacques» rend, d’ailleurs, hommage), notre génial narrateur a très vite pensé à exploiter la démesure des combles et des sous-sols du célèbre édifice, dévoilant ainsi coulisses et envers du tableau : réserves, archives, ateliers de restaurations ou de moulages, entrepôts d’encadrements… Dans un monde parallèle, Eudes Le Volumeur, assisté de son fidèle Léonard, se voit confier l’expertise de l’établissement du Révolu. En les suivant, pas à pas, dans ce travail colossal qui va les occuper de nombreuses années, le lecteur va découvrir de multiples endroits insoupçonnés, qui en disent autant sur l’institution que bien des pièces exposées : il finira même par tout savoir sur le fameux sourire de Mona Lisa… Cette superbe et impressionnante suite de tableaux en noir et blanc, truffée d’inventions graphiques et d’anagrammes ou d’astuces linguistiques, est, tour à tour, poétique, drôle et absurde… C’est le genre d’ouvrage qui permet de se poser nombre de questions sur nos rapports à l’art et qui devient, donc, particulièrement gratifiant pour la bande dessinée, en général !
“ Lily Love Peacock ” par Fred Bernard
Editions Casterman (12,95 Euros)
Fred Bernard, illustrateur de nombreux ouvrages pour la jeunesse réalisés avec son ami François Roca, nous avait déjà intrigués avec les deux aventures légères et oniriques de «Jeanne Picquigny», aux éditions du Seuil. Il nous revient, dans la belle collection «Ecritures» des éditions Casterman, avec un roman graphique assez étonnant et rempli, lui aussi, de références : «Lily Love Peacock». Ce dernier s’intéresse plus particulièrement au passage à l’âge adulte d’une jeune mannequin, laquelle n’est autre que la petite fille de sa précédente héroïne. Traînant son spleen aux quatre coins du monde, en arpentant podiums et défilés, Lily rencontre Rubis, sympathique coiffeuse qui est aussi guitariste dans un groupe de rock amateur. Devenues complices inséparables, les deux femmes s’aperçoivent, petit à petit, qu’elles sont complémentaires. Les textes poétiques qu’écrivait la future rock-star (et qui rythment ce récit construit avec de nombreux retours en arrière et d’originales digressions narratives) vont être mis en musique par Rubis, au sein de son ensemble musical transcendé par la voix de Lily. Entre initiation, quête des origines (le père aventurier de Lily achève un étrange voyage alcoolisé en plein cœur de l’Afrique) et recherche d’une véritable trajectoire, cette envoûtante histoire d’amitié est une fort agréable surprise, mise en valeur par un trait souple de mieux en mieux maîtrisé.
“ Un homme est mort ” par Etienne Davodeau et Kris
Editions Futuropolis (15 Euros)
Les BD didactiques méritent quelquefois le détour comme le prouve «Un homme est mort» de Kris et Etienne Davodeau (aux éditions Futuropolis) : un émouvant hommage aux mouvements sociaux qui évoque les affrontements de 1950, entre les syndicalistes C.G.T. de Brest et les forces de l’ordre. La guerre est terminée depuis 5 ans mais certaines villes ont été dévastées et il faut tout reconstruire. Des milliers d’ouvriers sont embauchés et les syndicats demandent des améliorations de leurs conditions de travail. Ils ne les obtiennent pas : alors, c’est la grève ! La situation s’envenime et les gendarmes tirent sur les manifestants, tuant un jeune homme d’une balle en pleine tête. Le cinéaste René Vautier, revenant en France par des voies détournées, n’hésite pas à répondre à l’appel de ses camarades qui souhaitent qu’il immortalise ce soulèvement. C’est l’histoire de ce film oublié, dont il ne reste plus rien aujourd’hui alors qu’il fut diffusé plus de 150 fois sur les piquets de grève, que raconte cet album rythmé, bouleversant, profondément humain, et dont la résonance est complètement actuelle !
“ Jacob le cafard ” par Will Eisner
Editions Delcourt (12,90 Euros)
Fruit de son expérience et de son observation de la «Comédie humaine», Will Eisner avait composée la trilogie commencée avec «Un pacte avec Dieu» (et dont «Jacob le cafard» est le second volet) en 1978. Ces récits à caractère souvent autobiographique, mettant en scène des personnages anonymes, voire invisibles, resteront comme l’un des aspects les plus importants de cet immense auteur. Le dessin orienté vers la caricature est empreint d’une sensibilité extrême et d’une grande expressivité, alors que les thèmes abordés le sont avec une grande intelligence et sans aucun moralisme. Ce roman graphique («A life force», dans la langue d’origine, et qui date de 1983) avait déjà connu une première traduction en France (par Janine Bharucha, alors qu’ici, elle est signée Anne Capuron), en 1987. Les éditions USA (puis Glénat, par la suite) l’avaient intégré dans un autre des chefs-d’œuvre du maître, lequel abordait les mêmes thèmes : «Big City» ; plus précisément, il s’agissait du 2ème tome intitulé «55 Dropsie avenue : Le Bronx». Même si les éditions Delcourt évitent soigneusement de faire allusion à cette première version en langue française, remercions-les pour la qualité de leur production : format plus petit mais plus proche de l’original, et, surtout, avec la totalité de l’ouvrage (pas moins de 10 planches éparses de plus que chez USA et Glénat).
“ Les cinq conteurs de Bagdad ” par Frantz Duchazeau et Fabien Velhman
Editions Dargaud (13,50 Euros)
Ceux qui ont aimé «La nuit de l’inca» ou «Dieu qui pue, Dieu qui pète», les deux autres collaborations imaginatives de Duchazeau et Velhman, seront aux anges ! On y retrouve le même dessin fin et hachuré, assez typé et personnel (quoique très blutchien et proche de la gravure) qui donne une atmosphère éthérée et magique à cette subtile mise en abîme. Déployant un récit dans le récit du récit, le malin scénariste surprend le lecteur à chaque page, alors que toute l’histoire est révélée, dès le début, par la prédiction d’une devineresse. Dans un Orient des «Mille et une nuits», le calife de Bagdad organise un concours de conteurs. Les cinq plus prometteurs des prétendants au titre du meilleur conteur du califat vont avoir trois ans pour parcourir le monde, ceci afin de recueillir et parfaire la meilleure des histoires qui soit : gloire et fortune sont promises au gagnant alors que le supplice du pal est réservé au plus mauvais d’entre eux, car on ne gaspille pas impunément le temps du commandeur des croyants… Mais quel est le plus beau des contes ? Celui qui divertit ou celui qui fait réfléchir ? Celui qu’on improvise ou celui que l’on a parfaitement canalisé ? Avec une narration pleine d’humour, concise et dense à la fois, l’intrigue s’attache donc à réfléchir sur l’art du raconteur d’histoires, tout en captivant le lecteur avec mille et une péripéties, et en revisitant les différentes légendes et mythologies usées jusqu’à la corde : brillant !
Gilles RATIER