Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DE BD DU 16 MAI 2006
Toujours aussi variée, voici notre sélection BD de la semaine : “ Le pays des cerisiers ” par Fumiyo Kouno, “ Miss Pas Touche T.1 : La vierge du bordel ” par Kerascoët et Hubert, “ Buddy Longway T.20 : La source ” par Derib, “ Crochemaille ” par Erik et “ La patience du grand singe ” par Céline Wagner et Edmond Baudoin.
“ Le pays des cerisiers ” par Fumiyo Kouno
Editions Kana (12,50 Euros)
Assez différent du «Gen d’Hiroshima», l’autre BD japonaise qui fait référence à ce sujet qui témoigne de l’horreur de la destruction atomique, ce manga engagé et poignant est empreint d’une certaine poésie et d’un certain lyrisme. A Hiroshima, en 1955, dix ans après ce jour où l’éclair incandescent a fendu le ciel, une jeune femme vit dans le dénuement mais se débrouille, refusant de se plaindre de son sort. Elle a des rêves touchants de simplicité, s’apercevant que la vie vaut quand même la peine d’être vécue et qu’il est important d’essayer de se reconstruire : à l’image du Japon tout entier, un pays qui est en train de panser ses plaies de guerre et qui va entamer une fulgurante croissance économique. Ainsi, cette nature optimiste, quand même perturbée par les atrocités qu’ont subies ses proches, trouvera l’amour en la personne d’un gentil collègue. Hélas, la maladie va la rattraper et, pendant ses derniers jours, elle va se remémorer les monstruosités qui ont découlé de l’explosion de la bombe. L’émotion est également présente dans la seconde histoire, qui donne son nom à ce recueil, où une jeune fille suit son père malade, au travers des fantômes du passé. La mangaka y décrit la vie quotidienne de gens simples, avec un dessin jeté mais attachant, et même avec une once d’humour, pour faire prendre conscience des terribles conséquences de ces bombardements et de la nécessité de continuer à vivre, malgré tout : quelle belle leçon d’humanisme !
“ Miss Pas Touche T.1 : La vierge du bordel ” par Kerascoët et Hubert
Editions Dargaud (9,80 Euros)
Voilà l’une des nouvelles séries les plus prometteuses de ce deuxième trimestre 2006 ! Mélangeant allégrement les poncifs de l’enquête policière, de la chronique sociale et du feuilleton populaire, le scénariste Hubert (connu pour «Le legs de l’alchimiste» mais aussi pour son excellent travail de coloriste) et le couple qui se cache sous le pseudonyme de Kerascoët (déjà responsable d’un mémorable «Donjon Crépuscule» et de plusieurs épisodes du dessin animé «Petit Vampire») ont réussi à évacuer tous les écueils de ces genres narratifs : vulgarité, répétition, descriptions trop pesantes etc. Donc, dans un style graphique léger qui n’est pas sans rappeler celui des Sfar, Blain et autres tenants de la «nouvelle BD» et avec une technique d’écriture décalée et sensuelle, ce premier tome nous plonge dans l’univers des guinguettes des bords de Marne et des maisons closes parisiennes des années 1930… Deux sœurs travaillent comme soubrettes chez une vieille dame : l’une est plutôt dévergondée alors que l’autre est encore vierge et légèrement coincée. Cette dernière, restée à la maison pendant que sa sœur est partie guincher, assiste à un meurtre commis dans l’appartement voisin : un dangereux tueur y étripant une prostituée. De retour du bal, sa frangine ne la croit pas, regarde par une fissure donnant sur le lieu du crime et… se fait flinguer d’une balle dans la tête. Notre naïve «Miss Pas Touche», effondrée, décide toutefois de mener son enquête, laquelle la conduit dans un bordel luxueux où elle se fait engager : effarant !
“ Buddy Longway T.20 : La source ” par Derib
Editions Dargaud (9,80 Euros)
Le dessinateur Suisse Derib (de son vrai nom Claude de Ribeaupierre) est à l’honneur ces derniers temps puisqu’il fête ses 40 ans d’auteur de BD (profitons-en pour signaler la réédition actualisée de la très belle monographie que le regretté Georges Pernin lui avait consacrée aux éditions du Lombard : «Derib : un créateur et son univers», avec 16 pages inédites), puisque le nouveau dessin animé de «Yakari» (d’après la BD qu’il a créée avec Job) connaît un grand succès par sa diffusion sur France 3, la RTBF et la TSR, et puisqu’il met fin à sa série la plus personnelle : «Buddy Longway». Avec le 20ème épisode de ce western humaniste, ce passionné par le monde des Indiens n’hésite pas à tuer son personnage (et sa compagne indienne Chinook) créé, en 1972, dans Tintin Sélection. Cela fait donc 34 ans que les lecteurs suivent, avec passion, la saga de ce trappeur dans les grandes plaines de l’Ouest américain. Apprenant à aimer le peuple Indien, il épouse l’une d’entre eux et en aura deux enfants. La famille grandit et vieilli au rythme des aventures de cet homme qui doit lutter à la fois contre ceux de sa race qui lui reproche de vivre avec une «peau-rouge» et contre les Indiens qui lui sont hostiles. Derib ayant toujours privilégié l’aspect graphique et la progression lente de l’action, ce dernier tome rempli de références aux épisodes précédents (avec les retrouvailles de nombreux personnages secondaires), ne déroge pas à cette règle narrative : ainsi, l’ambiance lourde, contrastant avec la beauté du dessin, l’évocation de la nature et le côté un peu naïf de certains éléments du récit, risque de décontenancer certains lecteurs alors que l’ensemble est pourtant totalement touchant et authentique. Une chose est sûre : c’est une grande BD qui vient de se terminer…
“ Crochemaille ” par Erik
Editions Glénat (20 Euros)
Dans son indispensable collection «Patrimoine», Henri Filippini (grand spécialiste de la BD francophone des années 1950 et 60) nous propose les trois premières aventures de l’intrépide «Crochemaille», parues de 1946 à 1948, dans les pages de l’hebdomadaire O.K.. Cette BD, aux scénarios assez simples mais très amusants, est due au talentueux Erik, de son vrai nom André-René Jolly (1912-1974). Ce dessinateur humoristique et inventif (la multiplication des détails visuels par son trait, à la fois pointu et rond, en fait le Dubout du 9ème art), est, hélas, trop méconnu aujourd’hui. Evoluant dans un Moyen-Âge de carte postale, son têtu et courageux petit chevalier, toujours en mouvement (d’où son sobriquet de «nerveux»), parcourt le pays pour combattre les seigneurs félons, en compagnie de son puissant ami Brisemur. Aventures drolatiques et héroïques sont donc au rendez-vous dans ce bel album qui respecte la mise en page, parfois chaotique, de l’époque. Notons, pour l’anecdote, que «Crochemaille» connu une seconde vie, de 1968 à 1970, dans de courts récits proposés dans le journal Fripounet. Un livre et une collection à soutenir sans réserve !
“ La patience du grand singe ” par Céline Wagner et Edmond Baudoin
Editions Tartamudo (12 Euros)
La jeune dessinatrice Céline Wagner avait été remarquée pour sa première collaboration avec Edmond Baudoin («Les yeux dans le mur» dans la collection «Aire Libre» des éditions Dupuis), alors qu’elle avait déjà été son modèle pour l’album «Le portrait du peintre». Si ce nouvel album, en noir et blanc, axé sur les relations entre un père et sa fille, est encore co-signé avec le célèbre bédéiste et poète, Céline a pourtant tout écrit et dessiné : Edmond n’ayant fait que coller l’image du personnage du père sur des planches qui étaient déjà dessinées. Transcription poétique et fantasmée, mais transparente, des deux auteurs, l’enfant et l’adulte sont fascinés par une statue de King-Kong qui stationne dans le parking d’une grande surface du Val d’Oise : les deux protagonistes tentent d’établir un contact et de répondre aux questions métaphysiques qu’ils peuvent se poser. Un livre original, profond et déroutant, qui nous oblige à réfléchir et qui ne peux laisser le lecteur indifférent !
Gilles RATIER