Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
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Aujourd’hui, 1er mai, on ne travaille pas ! Alors lisez les 5 albums de BD que nous vous avons sélectionné : “ Secrets : L’écorché T.1 ” par Ruben Pellejero, Florent Germaine et Frank Giroud, “ Buddy Bradley T.1 : En route pour Seattle ” par Peter Bagge, “ Emmanuel Guibert : monographie prématurée ” collectif aux éditions de l’An 2, “ Wimbledon Green ” par Seth et “ La vallée des merveilles T.1 : Chasseur-cueilleur ” par Joann Sfar.
“ Secrets : L’écorché T.1 ” par Ruben Pellejero, Florent Germaine et Frank Giroud
Editions Dupuis (13,50 Euros)
Juste après la Commune de Paris, une femme confie, à un couple de bouchers, son nouveau-né dont le monstrueux bas du visage est caché par une sorte de minerve. En grandissant, cet enfant difforme et muet subira les sarcasmes des autres gamins et entretiendra des rapports difficiles avec les femmes. Il va, toutefois, se découvrir des talents de peintre, séduisant les bourgeois amateurs d’art qui aiment s’encanailler dans le Montmartre populaire, grâce à des toiles étonnantes, réalisées avec du sang de boeuf… Décidément, Frank Giroud est de plus en plus prolixe : après les 1ers tomes du «Légataire» et du «Cercle de Minsk» ou les suites de «L’expert» et de «Quintett» (et en attendant «Les Fleury-Nadal»), voici un 3ème cycle de ses passionnants «Secrets» de famille. Malgré cette prolifération de séries, l’intérêt pour ses histoires ne faiblit pas : là encore, dans cette destinée d’un artiste génial et effrayant à la fois, l’émotion et le mystère sont omniprésents. Il convient, cependant, de souligner la participation de plus en plus active de Florent Germaine, qui s’était, jusque-là, contenté de fournir la documentation (particulièrement importante ici) et d’apprendre son métier de narrateur aux côtés du concepteur du «Décalogue», respectant ainsi la tradition du compagnonnage. Enfin, la réussite de cette intrigue, basée sur la place de la frustration affective dans la création artistique, est aussi à mettre au crédit du dessinateur espagnol Ruben Pellejero. Ce dernier a su parfaitement restituer l’émulation et les moeurs de cette fin du XIXème siècle, grâce à un trait sensuel, de profonds cadrages panoramiques et de chaudes couleurs.
“ Buddy Bradley T.1 : En route pour Seattle ” par Peter Bagge
Editions Rackham (25 Euros)
Joyeux descendant du mouvement Underground et de la presse alternative, l’américain Peter Bagge montre, sans ambages, la société américaine des années 1980, telle qu’elle était et telle qu’elle est toujours un peu ! Son style humoristique post-grunge (qui doit beaucoup à Crumb et à Shelton) s’est particulièrement imposé dans les chroniques explosives de l’improbable famille à «Buddy Bradley», un jeune homme vaniteux et moralisateur, aux cheveux aussi gras que le style du dessinateur ! Les 30 comics, repris en 4 recueils qui sont parus aux USA de 1985 à 1989, avaient été publiés en Angleterre, en Finlande et en Espagne. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de l’éditeur hispanique (La Cupula) que les lecteurs francophones ont pu découvrir un album («Haine») présentant cette bande attachante de loosers, mais seulement en 1998, et ceci sans le moindre succès. Bien avant cela, Alain David (le responsable des éditions Rackham) avait déjà le projet un peu fou d’éditer l’intégrale de ce chef-d’œuvre de la BD underground, symbole de la vague grunge et pourtant complètement inconnu en France. Il est enfin arrivé à ses fins en nous proposant, aujourd’hui, 2 gros volumes de 350 pages (dont le 1er est déjà chez votre libraire préféré), lesquels sont aussi indispensables qu’hilarants pour les amateurs de bonne BD, de bière et de rock’n’roll !
“ Emmanuel Guibert : monographie prématurée ” collectif
Editions de l’An 2 (19,50 Euros)
Auteur protéiforme inspiré, Emmanuel Guibert (l’un des grands auteurs actuels) méritait bien d’avoir, lui aussi, sa monographie ! C’est chose faite avec ce titre de la collection «Etoiles de l’image» des éditions de l’An 2. Comme les précédents ouvrages conçus pour cette série de volumes célébrant la nouvelle génération de dessinateurs français, celui-ci réunit des histoires complètes (qui totalisent 27 planches ici), de nombreuses illustrations et documents inédits, ainsi que des textes analytiques par des chroniqueurs assermentés par l’éditeur : l’éminent spécialiste du 9ème art qu’est Thierry Groensteen. La longue carrière d’Emmanuel Guibert (qui démarre en 1985 avec «Brune», album que l’auteur n’hésite pas désormais à qualifier de nauséabond, pour se poursuivre aujourd’hui avec la trilogie du «Photographe», en passant par des œuvres aussi diverses qu’intègres : «La fille du professeur», «La guerre d’Alan», «Sardine de l’espace», «Le capitaine écarlate», «Ariol» ou «Les olives noires») est donc disséquée ici par Alexis Laballery, Gilles Ciment et Christian Rosset. Si Emmanuel Guibert livre, lui-même, un très intéressant texte sur ses rapports au dessin et à la petite enfance («Je dessine encore aujourd’hui sous le coup de l’excitation éprouvée à dessiner enfant…»), on regrettera seulement qu’il n’y ait pas, dans ce livre pourtant remarquable, la traditionnelle interview ou bio-bibliographie qui permet, n’en déplaise à certains, de mieux appréhender le parcours de l’auteur que l’on veut consacrer.
“ Wimbledon Green ” par Seth
Editions du Seuil (21 Euros)
S’accordant une pose dans la réalisation de son «Clyde Fans» (dont le 1er tome, «Le commis voyageur», a été traduit dans la collection «Ecritures» de chez Casterman), le très prisé cartooniste canadien anglophone a remis le nez dans ses carnets de croquis personnels pour nous proposer le portrait satirique, plein d’humour mais aussi de tendresse, du plus grand collectionneur de comics du monde. Tout l’album (réalisé dans un style graphiste minimaliste) tourne autour de la recherche de l’identité de ce «Wimbledon Green», un homme immensément riche, jaloux et suffisant ou à la morale douteuse pour les uns, référence incontournable pour les autres, dont plus personne n’a de nouvelles depuis qu’il a quitté la scène de son petit milieu. A travers une succession d’anecdotes et de nombreux témoignages de libraires spécialisés, d’autres collectionneurs ou du «héros» imaginaire lui-même, Seth (de son vrai nom Gregory Gallant) s’amuse avec l’industrie des comics, tout en glorifiant sa passion «futile» pour la BD. Enfin, signalons que ce petit livre (que tout collectionneur doit posséder, bien entendu !) est aussi un très bel objet vert orné de lettres d’or, à l’identique de l’édition originale parue chez Drawn & Quaterly, en2005.
“ La vallée des merveilles T.1 : Chasseur-cueilleur ” par Joann Sfar
Editions Dargaud (13 Euros)
Cette nouvelle série de Joann Sfar (qui a toujours été fasciné par «Astérix» et par «Conan le barbare»), s’inscrit, en quelque sorte, comme la suite des carnets de l’auteur : il continue à y mettre en scène les gens qu’il aime (sa famille et ses copains), mais d’une façon imaginaire, à la manière d’un récit d’aventure. Situant ce mélange d’heroic-fantasy et d’autobiographie dans la préhistoire, il nous raconte les déboires de deux amis chargés de famille qui partent à la chasse et à qui il arrive, à chaque fois, des trucs pas possibles. Si ces péripéties anachroniques, simples et joyeuses, s’apparentent plutôt à une balade bavarde entrecoupée de scènes de combat, les personnages réussissent à être attachants, alors que la narration flirte intelligemment avec la poésie naïve et que l’auteur semble porter plus d’attention à la partie purement graphique. Si certains amateurs de cet artiste, «Sfar de la BD indépendante», jugeront l’album parfaitement dispensable, ce dernier n’est pas à négliger, surtout qu’il a le mérite d’avoir fait prendre conscience, à l’éditeur, de la nécessité d’une plus grande pagination (88, au lieu des habituelles et si, aujourd’hui, controversées, 48 pages) pour un album traditionnel (lire grand format et cartonné). L’autre grande victoire de Joann Sfar est d’avoir pu rajouter, à la fin, 15 pages sous forme de carnet, un genre où il excelle et où il nous donne des précisions quant à la conception de cette série, laquelle veut s’adresser à tout le monde : aux adultes comme aux enfants !
Gilles RATIER