Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 10 AVRIL 2006
Avant de prendre une petite semaine de vacances bien méritée, votre chroniqueur préféré vous propose encore 5 albums à lire absolument : D’un quai à l’autre, Fraise et chocolat, La guerre des mondes, Secrets bancaires T.1 : Les associés ainsi que “ L’ordre de Cicéron T.2 : Mis en examen ”.
“ D’un quai à l’autre ” collectif dirigé par Etienne Davodeau
Editions Ouest-France (11 Euros)
Ce formidable collectif, où des auteurs de différents horizons parlent de leurs rapports au monde ferroviaire, a été réalisé grâce à la collaboration des éditions Ouest-France, du festival «Quai des Bulles» de Saint-Malo et de la SNCF. C’est l’auteur des «Mauvaises gens» (la BD la plus primée de l’année), c’est-à-dire Etienne Davodeau (également signataire de la couverture) qui a dirigé cette très intéressante compilation de récits intimistes, réalistes ou drôles, due à 10 personnalités singulières aussi diversifiées que l’offre proposée aujourd’hui par le 9ème art. Bruno Le Floc’h ouvre le bal, confirmant tous les espoirs qu’il avait laissé entrevoir avec sa BD «Trois éclats blancs» chez Delcourt, et il est suivi par des gens, plus ou moins connus, mais au talent évident : Guillaume Bouzard, Jean-Luc Simon, Morvandiau, Laure Del Pino, Daphné Collignon, Olivier Josso, Bibeur Lu et même l’excellent québécois Jimmy Beaulieu ! Notons aussi la participation de Nicoby qui entrecoupe ces différents récits, très personnels, de pages de gags totalement efficaces et bien vus !
“ Fraise et chocolat ” par Aurélia Aurita
Editions Les Impressions nouvelles (15 Euros)
Dessinatrice au trait sensuel, proche de celui des ténors de la «nouvelle BD» (l’ouvrage est d’ailleurs préfacé par Joan Sfar), Aurélia Aurita n’avait publié, jusque-là, que quelques planches dans Fluide Glacial et dans PLG, ainsi qu’un recueil d’histoires courtes («Angora», publié par Stéréoscomic puis par le Neuvième Monde, en 2003) où elle narrait les doutes et malaises d’une jeune femme à la recherche d’un amour définitif. L’aurait-elle trouvé, depuis, en la personne de Frédéric Boilet, l’auteur de BD vivant au Japon… ? Ce dernier lui ayant commandé des pages de bandes dessinées pour un ouvrage collectif (paru, depuis, sous le titre «Japon» dans la très intéressante collection «Ecritures» de chez Casterman), elle se rend au pays du soleil levant pour y séjourner quelques semaines et retrouver son nouvel amant. Entre frénésie sexuelle et confidences plus que privées, cette autobiographie impudique, malicieuse, drôle, tendre et pleine de charme, oblige le lecteur à se retrouver en position de voyeur, partageant, sans tabous, leur plaisir à faire l’amour : touchant, jouissif et même éducatif !
“ La guerre des mondes ” par D’Israeli et Ian Edginton
Editions Kymera (10 Euros)
Voici une belle et fidèle adaptation de l’une des œuvres fondatrices de la SF actuelle. Après la version Spielberg (avec Tom Cruise en père divorcé parfait), le scénariste Ian Edginton et le dessinateur D’Israeli, qui avaient déjà signé Scarlet Traces (excellente suite au roman de Wells, traduite chez le même éditeur), reviennent aux sources, replaçant le récit en Grande-Bretagne, à la fin du XIXe siècle. D’étranges jets de gaz venant de la surface de Mars se dirigent vers la Terre et quelques jours plus tard, des monstres semblent envahissent notre planète, détruisant tout sur leur passage. Si les auteurs (britanniques, eux aussi) ont abrégé le texte d’origine, ils ont très bien rendu l’atmosphère du livre. Le désespoir de la population humaine devant l’avancée des envahisseurs est parfaitement mis en images par un dessin certes stylisé, mais assez méticuleux pour éviter de tomber dans la caricature. Voilà qui ne peut que donner envie de lire (ou relire) le roman de Herbert George Wells !
“ Secrets bancaires T.1 : Les associés ” par Pierre Wachs et Philippe Richelle
Editions Glénat (12,50 Euros)
Cela devient une évidence, Philippe Richelle sait rendre ses scénarios palpitants ! Après des débuts hésitants comme dessinateur humoristique dans Tintin et Hello BD, il a su se recycler comme raconteur d’histoires illustrées par des graphistes au trait réaliste comme Jean-Yves Delitte, Jean-Michel Beuriot ou Eric Gorski. Cette nouvelle série polardo-économique, sur fond de mafia venue des pays de l’Est, consolide une fois de plus son talent de scénariste : un brave type, criblé de dettes, retrouve un vieux copain d’enfance et lui confie son dernier espoir qui consiste à monter un projet hôtelier en Croatie. L’«ami» retrouvé lui procurera la somme manquante et utilisera la crédulité de notre pauvre chômeur, étranglé par le quotidien, pour blanchir de l’argent sale. La descente aux enfers de ce «héros» pris dans un engrenage infernal, touchant par sa naïveté et sa franchise, est fort bien dessinée par un Pierre Wachs qui revient à un style plus «ligne claire», comme à l’époque où il travaillait sur du contemporain avec Patrick Cothias : «Le saumon» ou «Les chiens au bord du monde», des séries passées inaperçues et qui, pourtant méritaient déjà le détour. Une BD à suivre avec d’autant plus d’attention que 2 tomes doivent paraître par an, un cycle sur deux étant illustré par Dominique Hé.
“ L’ordre de Cicéron T.2 : Mis en examen ” par Paul Gillon et Richard Malka
Editions Glénat (13 Euros)
Richard Malka est avocat et utilise, à bon escient, les différentes données juridiques et financières de son métier, pour ce captivant scénario rempli de rebondissements. Avec son sens du théâtral et un souci évident de bien raconter les histoires, il nous avait expliqué, dans le premier tome, l’origine des affrontements actuels entre deux jeunes avocats fortunés, prélude à l’une de ces grandes sagas historiques et familiales que les éditions Glénat aiment publier (voir «Les maîtres de l’orge» et «Les Morin-Lourdel», par exemple). Pourtant, ce second opus se recentre sur l’affaire judiciaire en cours et la procédure pénale qui en découle : l’un des protagonistes est impliqué, par un juge très médiatique, dans une affaire de blanchissement d’argent (et oui, encore !), juste au moment où son concurrent tente de racheter son cabinet afin de venger l’honneur de sa famille. Traquenards et romanesque sont au programme de ce passionnant polar financier situé dans le cadre des institutions françaises, et, cerise sur le gâteau, le trait de Paul Gillon (qui aura 80 ans, le 11 mai !) est toujours aussi sublime et dynamique : quelle leçon de graphisme !
Gilles RATIER