Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 23 JANVIER 2006
“ Le légataire T.1 : Le rendez-vous de Glasgow ” par Joseph Béhé, Camille Meyer et Frank Giroud, “ Vers le démon ” par Christian de Metter, “ L’apprenti Japonais ” par Frédéric Boilet “ Donjon T.10 : Des soldats d’honneur ” par Frédéric Bézian, Joann Sfar et Lewis Trondheim et “ Minimal ” par Manu Larcenet .
“ Le légataire T.1 : Le rendez-vous de Glasgow ” par Joseph Béhé, Camille Meyer et Frank Giroud
Editions Glénat (12,50 Euros)
Après l’expérience du «Décalogue», le scénariste Frank Giroud n’avait plus très envie de se replonger dans des scénarios “classiques” et nous a proposés, coup sur coup, la collection «Secrets» et le concept de «Quintett». Cependant, l’univers et les protagonistes entrevus dans le «Décalogue» continuaient à le hanter et, même si certains n’hésiteront pas à le taxer d’opportuniste, commercialement parlant, il a décidé d’offrir à ses lecteurs quelques rebondissements axés autour de ce phénomène éditorial, dont cette suite directe qui comptera 5 tomes, tous dessinés par Joseph Béhé (secondé ici par Camille Meyer). Le trait délicat du premier des dessinateurs du «Décalogue» illustre donc la narration subtile et délicate de ce deuxième cycle dense et prenant, où l’on retrouve diverses figures marquantes du «Manuscrit» et de «La Fatwa», les deux premiers tomes de l’oeuvre magistrale d’origine… Depuis le suicide inexpliqué de Simon Broemecke, juste après la publication de son chef-d’œuvre «La marque du prophète», sa compagne essaie de surmonter sa peine et réédite ce roman dans une édition enrichie d’une aquarelle représentant une sourate inconnue du Coran : ce document, retrouvé dans les notes de l’écrivain, semble intéresser de nombreux et étranges personnages. Goûtons avec délectation cette nouvelle préparation, d’autant plus que le brillant scénariste nous promet, qu’au fil des tomes, «Le légataire» nous réservera un certain nombre de grosses surprises !
“ Vers le démon ” par Christian de Metter
Editions Casterman (13,75 Euros)
S’inspirant du «Démon», roman culte de l’américain Hubert Selby Jr, Christian de Metter nous propose un sombre road-movie aux premières pages envoûtantes. Un homme de 47 ans essaie de retrouver la trace de l’Indien qui a été accusé d’avoir tué son fils et qui vient d’être relâché, après 15 ans de prison. En effet, des tests ADN viennent de l’innocenter. Pourtant, rongé par le désir de vengeance, ce père inconsolable, séparé de son épouse, prend la route, bien décidé à tuer celui qu’il considère toujours comme l’assassin de sa progéniture. Sur son chemin, il va croiser une jeune femme en errance cherchant à fuir la violence de son compagnon. Avec son graphisme expressif à la Dave McKean, l’auteur du «Sang des Valentines» ou de «Swinging London» forge son cheminement personnel, en étant particulièrement humain dans sa narration, tout en multipliant les histoires situées dans des univers différents et qui ne peuvent pas nous laisser indifférents.
“ L’apprenti Japonais ” par Frédéric Boilet
Editions Les Impressions Nouvelles (9,80 Euros)
Ce livre composé de textes, de notes, de correspondances, de dessins, de croquis et de photos, raconte la découverte progressive du Japon, et de son quotidien, par un auteur de BD qui a décidé de s’installer au Pays du soleil levant. Il s’agit, bien sûr, de Frédéric Boilet lui-même, responsable, seul ou avec Benoît Peeters (scénariste et éditeur qui est pour beaucoup dans la conception et la publication de cet ouvrage vraiment subtil et original), de nombreuses BD aujourd’hui encore incontournables, dont la plupart sont rééditées chez Ego comme X ou chez Casterman. C’est en 1993, alors qu’il avait 33 ans, que ce graphiste natif d’Epinal remporta une bourse pour une résidence culturelle à Tokyo. Douze ans plus tard, ayant choisi définitivement d’habiter au Japon, ce premier auteur occidental à s’y être imposé joue, aujourd’hui, un rôle de passeur entre mangas et BD occidentales. Son «Apprenti Japonais», qui est fort bien écrit et qui a, entre autres mérites, la qualité de nous en apprendre plus sur la culture nippone que bien des guides géographiques, retrace, en quatre chapitres, son itinéraire. Alors que la culture asiatique et les mangas déferlent dans notre société actuelle, il est bon de pouvoir s’appuyer sur un tel regard sur la réalité japonaise contemporaine, qui soit aussi décapant qu’intelligent !
“ Donjon T.10 : Des soldats d’honneur ” par Frédéric Bézian, Joann Sfar et Lewis Trondheim
Editions Delcourt (9,80 Euros)
Frédéric Bézian est l’un de ces auteurs importants de la fin du XXème siècle qui, avec son trait sombre et hachuré, a su emprunter des chemins innovants pour le 9ème art, et qui a dû, certainement, influencer cette génération d’auteurs que l’on appelle désormais «La nouvelle BD». Rien d’étonnant, donc, de le retrouver comme partenaire de Joann Sfar et Lewis Trondheim sur l’entreprise «Donjon», après Carlos Nine ou Andreas et en attendant (peut-être) F’Murrr ou Maëster. Disons-le tout de suite, ce «one-shot» est une réussite ! On y retrouve tous les ingrédients qui ont fait le succès de cet univers parodique des jeux de rôle (inventivité, sensibilité, humour au second degré noyé dans un univers sombre à souhait…). En effet, la narration en voix off, laquelle nous explique les états d’âmes de deux frères dragonistes de la Géhenne dont l’un est obligé, par son seigneur, d’exécuter l’autre, colle parfaitement au style de plus en plus lâché de ce dessinateur virtuose : un vrai bonheur de lecture !
“ Minimal ” par Manu Larcenet
Editions AUDIE-Fluide Glacial (11,95 Euros)
Depuis mai 2003, Manu Larcenet tient épisodiquement une espèce de journal dans le journal Fluide Glacial ; un peu comme fut Le Trombone Illustré de Franquin et Delporte dans Spirou, à la différence près qu’en ce qui concerne Minimal, Larcenet fait tout tout seul et qu’il s’essaie à tous les styles graphiques en maniant assez habilement le second degré. Il en profite d’ailleurs pour s’auto-caricaturer, avec saveur, en dessinateur révolté, ou pour placer, sous divers pseudonymes (Pedro Pilar, Stan Mike, Jean-Pierre Poutre, Hans Shunstrü, Miujiyiu Kaniu, Bill Burnby, Thomas Loupinot…) quelques ébauches de séries : «Starsky la palourde et Utacha la moule», «Dieu est de retour», «L’arbre à palabres», «Omar Mollah», «Frison Poche» et autres «Placid et Lacan». Le tout est compilé dans un album de belle facture complété par des planches inédites offertes par Jeff Pourquié, Christian Binet, Etienne Davodeau, Baru, Frantico, Diego Aranega et par bien d’autres encore. Au moment où l’ancien «Boss» de Spirou (Thierry Tinlot) prend les commandes de Fluide Glacial (jetez-vous sur le n° spécial Angoulême qui vient de sortir et qui est le premier à vraiment porter sa marque), ce recueil tombe parfaitement au bon moment pour prouver, si besoin en était, la vitalité de ce mensuel d’humour !
Gilles RATIER