Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 4 AVRIL 2005
Le mois de mars aura encore été chargé en nouveautés BD ! Parmi cette production pléthorique, cette semaine, nous vous conseillons de lire : “ Novikov T.1 : Le fou de dieu ” par Bruno Brindisi et Patrick Weber aux éditions Humanoïdes Associés, “ The Fixer ” par Joe Sacco aux éditions Rackham, “ L’ascension & autres récits ” par Marc-Antoine Mathieu aux éditions Delcourt, “ Black Hills 1890 T.14 : One Eye ” par Marc-Renier aux éditions Glénat et “ La rose & la croix T.1 : La confrérie ” par Luigi Critone, Nicolas Jarry et France Richemond aux éditions Soleil.
“ Novikov T.1 : Le fou de dieu ” par Bruno Brindisi et Patrick Weber
Editions Humanoïdes Associés (10,46 Euros)
Polar historique et ésotérisme sont au goût du jour comme le prouve la réussite éditoriale du célèbre «Da Vinci Code» de Dan Brown ; bien avant lui, «Le nom de la rose» d’Umberto Eco avait déjà réuni succès public et critique tout en ayant donné des envies littéraires à bon nombre de romanciers regroupés dans une collection en poche, chez 10/18 («Grands détectives»). S’inspirant de ce dernier concept, la nouvelle collection «Dédales» des Humanoïdes associés transpose le genre en BD et compte proposer, à un rythme de parution soutenu, plusieurs séries prévues en deux volets. Dans les deux premières qui nous sont proposées aujourd’hui, des spécialistes de l’enquête (un juge en Palestine dans les premières années de l’ère chrétienne et un officier de la police impériale de Russie à la fin du XVIIe siècle) s’efforcent de résoudre des enquêtes complexes. Si le premier («Shimon de Samarie» par Michel Rouge et Fred Le Berre), d’une lecture agréable, est assez classique, le second est véritablement efficace. Le scénariste, historien de formation, journaliste et auteur de romans policiers, a tout de suite bien assimilé la mécanique de la narration BD et nous a concocté une histoire captivante et rythmée : des crimes touchent de plein fouet l’aristocratie de Saint-Pétersbourg et sont signés par un crucifix planté dans le cœur des victimes. Le dessin, quant à lui, est dû à un pilier des pockets italiens Bonelli. Son trait minutieux et racé illustre au mieux cette captivante énigme ! Seul petit regret : les couleurs trop sombres et un peu superficielles. Ils s’y sont pourtant mis à quatre (et, parmi eux, la présence de l’excellent Greg Cruz aurait dû changer la donne) mais rien n’y fait : à trop vouloir bien faire, on en fait des fois un peu trop…
“ The Fixer ” par Joe Sacco
Editions Rackham (16 Euros)
Joe Sacco est une figure emblématique du reportage en bande dessinée comme l’ont prouvé ses remarquables essais «Palestine» et «Gorazde». Ce dernier album traitait de la guerre en Bosnie orientale et, ici, Joe Sacco reprend à nouveau ce sujet en nous brossant le portrait d’un « Fixer » (« fixeur » ou guide en français), lequel prend une résonance particulière avec les développements récents de la guerre en Irak et les tribulations dangereuses des journalistes dans ce pays. A la fois accompagnateur et intermédiaire, le personnage principal de cette BD est la source principale d’information des journalistes free-lance occidentaux. Personnalité complexe (autant héroïque et généreux que fanfaron et cupide), Neven, ancien baroudeur de l’armée yougoslave et ancien sniper dans le camp bosniaque, passe son temps dans les halls déserts des hôtels. C’est alors qu’il jette son dévolu sur un Joe Sacco un peu perdu et fauché qui exerçait, alors, la profession de journaliste. Le dessinateur maltais, vivant désormais aux USA, nous retranscrit en images le souvenir que cet énigmatique personnage lui a laissé, multipliant les points de vue et tentant de nous éclairer un peu mieux sur ce conflit qui a laissé des traces douloureuses dans Sarajevo. Avec son dessin underground très précis et sa narration en forme de puzzle, Joe Sacco construit peu à peu une œuvre engagée qui valorise complètement le 9ème art.
“ L’ascension & autres récits ” par Marc-Antoine Mathieu
Editions Delcourt (12,50 Euros)
Avant d’être l’auteur génial de «Julius Corentin Acquefacques» ou du «Dessin», Marc-Antoine Mathieu a publié quelques histoires courtes, écrites par son frère Jean-Luc, dans des revues éphémères comme Le Banni, à la fin des années 80. On les retrouve dans cet album-compilation réservé aux aficionados, lequel n’est pas une vraie réédition puisque seule la plus longue des nouvelles, qui donne le titre de l’ouvrage, a été publiée en album : «Le retour de Dieu», en 1994, aux éditions Autrement, dans une remarquable collection dirigée alors par Thierry Groensteen qui lui signe ici la préface. C’est donc plutôt une fausse nouveauté (un peu comme «La nuit de l’alligator» de Loustal qui vient de paraître chez Casterman) qui nous permet, cependant, de retrouver le superbe noir et blanc ainsi que le traitement narratif délicieusement absurde de l’auteur. En effet, ces huit récits bien noirs, œuvres de jeunesse dont le fil conducteur est le thème de la solitude, nous révèlent que les influences Kafkaïennes et Borgesiennes de l’intelligent et poétique Marc-Antoine ne datent pas d’hier !
“ Black Hills 1890 T.14 : One Eye ” par Marc-Renier
Editions Glénat (12 Euros)
Le photographe français Armand Lebon parcourt les plaines du Far West avec une jeune indienne essayant de retrouver les assassins de la femme et du fils d’un ami cow-boy sans le sou à qui il a promis vengeance. Après avoir affronté le blizzard et les regards haineux et racistes des autochtones, ce curieux équipage va croiser la route d’un vieil homme bavard alcoolique et fin tireur qui décide de les accompagner sur la piste de cette vendetta. Marc-Renier reprend, seul, les commandes de cette belle série après l’abandon d’Yves Swolfs (responsable des scénarios des trois premiers opus entre 1999 et 2003) et s’en sort fort honorablement. Il termine ce western psychologique de façon cohérente tout en approfondissant les rapports entre les personnages principaux et en rajoutant une petite dose d’humour décalé bienvenue. Même si, actuellement, Marc-Renier (qui est le frère d’Eric Warnauts) travaille, en couleurs directes, sur un récit maritime écrit par son vieux complice Rodolphe (ils avaient commis ensemble la série inachevée «Melmoth», chez Dargaud), ce dessinateur au trait maîtrisé espère bien reprendre «Black Hills» pour d’autres cycles situés avant ou après la période traitée ici.
“ La rose & la croix T.1 : La confrérie ” par Luigi Critone, Nicolas Jarry et France Richemond
Editions Soleil (12,50 Euros)
Nicolas Jarry, jeune romancier de SF qui s’est lancé depuis peu dans le scénario de BD, nous prouve une fois de plus qu’il maîtrise parfaitement la technique narrative du 9ème art, malgré une petite tendance à utiliser des procédés qui paraissent un peu trop didactiques. Pour cette histoire mêlant habilement alchimie et ésotérisme dans la Prusse du XVIIe siècle, il s’est adjoint l’aide de son amie France Richemond, une historienne avec laquelle il avait déjà écrit le roman «Sphinx» qui vient de paraître aux éditions du Rocher. La curiosité pour les sociétés secrètes et le soucis de restitution historique, amenés par cette jeune dame, contribuent à la réussite de ce premier tome ; la série met en scène un personnage ayant réellement existé et est digne des feuilletons de cape et d’épée d’un Michel Zévaco ou d’un Alexandre Dumas. Johan Friedrick Böttger, un garçon de quatorze ans fasciné par l’alchimie, est initié par son grand-père et découvre les prémices d’un pouvoir lui permettant de transformer le métal en or. Envoyé à Berlin par son beau-père fatigué de ses frasques, notre héros disparaît brutalement, enlevé par des hommes en noirs, membres d’une confrérie obscure. L’aventure possède un évident souffle épique et un rythme enlevé tout en évoluant dans un contexte rigoureusement documenté. Les rebondissements sont légion, les personnages sont attachants et le dessinateur italien choisi pour mettre le tout en images (on reparlera certainement de ce Luigi Critone dont c’est le premier album) excelle dans les ambiances où l’action prédomine ; les scènes plus intimes, quant à elles, sont fort bien enluminées par le coloriste Lorenzo Pieri. Bref, pour un coup d’essai, c’est assez réussi ! En tout cas, on attend la suite avec impatience !
Gilles RATIER