Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 21 FEVRIER 2005
Difficile, pour les petits éditeurs de BD, d’avoir la visibilité voulue, tellement la production est abondante. Nombreux sont ceux qui profitent de ce mois de février un peu plus calme (après la déferlante Angoumoisine) pour essayer de trouver leur public.
En ce qui nous concerne, en piochant chez ces éditeurs indépendants et éclectiques, nous avons été séduits par ces cinq ouvrages bien différents : l’intimiste “ Le chien à trois pattes ” par Farid Boudjellal aux éditions Tartamudo, le manga “ Dans la prison ” par Kazuichi Hanawa aux éditions Ego comme X, l’essai “ Des Comics et des hommes : histoire culturelle des comic books aux Etats-Unis ” par Jean-Paul Gabilliet aux éditions du Temps, le référentiel “ Le Poulpe T.16 : Les Jarnaqueurs ” par Jeanne Puchol et Michel Boujut aux éditions 6 Pieds Sous Terre et le collectif “ Le Phaco : spécial j’aime Nice ” : revue de bandes dessinées des éditions Groinge.
“ Le chien à trois pattes ” par Farid Boudjellal
Editions Tartamudo (11 Euros)
L’auteur de «Petit Polio» aime les expériences qui mettent en avant un véritable propos social : il participe à de nombreuses animations ou actions dans les prisons et il a réalisé, avec des collègues allemands, un album («Hanna & Chloé», également aux éditions Tartamudo) dans le cadre d’une opération européenne franco-germanique en relation avec l’organisation pédagogique des CEMEA (Centre d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active)… Nous retrouvons aussi toute son humanité, sa tendresse et sa générosité dans «Le chien à trois pattes», une nouvelle BD réalisée en partenariat avec le Groupe Logement 47 (une grande organisation immobilière de la région d’Agen). Sous la forme d’une fiction remplie de la force émotive qu’on lui connaît, Farid Boudjellal informe les locataires des logements sociaux gérés par cette agence, un public qui n’est pas forcément initié au médium BD. Le lecteur croise ainsi une foule de personnages qui sont les voisins des trois protagonistes principaux (un couple de retraité et leur fils souvent confrontés aux problèmes de baux dans leur immeuble) : des tranches de vies bien ancrées dans la réalité du quotidien ! C’est une démarche originale et citoyenne, enluminée par les couleurs pastel et le trait faussement naïf de cet auteur humaniste, lequel se met complètement au service du récit pour mieux faire comprendre ses justes combats !
“ Dans la prison ” par Kazuichi Hanawa
Editions Ego comme X (25 Euros)
Chronique quotidienne, rigoureuse et lucide, d’un taulard japonais, ce manga dérangeant et fascinant, de plus de 230 pages, surprend par son aspect quasi documentaire et par le trait épais adopté par le dessinateur. Ceci accentue l’ambiance lourde de ce témoignage, unique, sur trois années passées dans une prison nippone. Publié au Japon en 2000, cette curieuse BD montre concrètement la vie des détenus, leurs manques, leurs préoccupations souvent désuètes, leurs habitudes et leurs attitudes respectueuses devant un règlement très strict. Tout ceci aboutissant à la régression mentale du prisonnier. Condamné à trois ans de réclusion pour détention illégale d’arme à feu, Kazuichi Hanawa a dessiné, durant son incarcération, une grande partie de ce manga basé sur une correspondance qu’il entretenait avec un ami. Il y fait preuve d’une certaine philosophie et nous tiens un propos contemplatif mais également très (voire même dès fois, un peu trop) précis, loin des recueils d’anecdotes sur les compagnons de cellules ou autres témoignages carcéraux. Notons que l’audace des choix éditoriaux atypiques d’Ego comme X a l’air de porter ses fruits puisque leur premier manga édité («L’homme sans talent») a rencontré un beau succès autant critique que public et que Casterman va bientôt traduire l’une des séries historico-fantastiques de cet étonnant mangaka qu’est Kazuichi Hanawa.
“ Des Comics et des hommes : histoire culturelle des comic books aux Etats-Unis ” par Jean-Paul Gabilliet
Editions du Temps (29,50 Euros)
Maître de conférences en études américaines à l’université de Bordeaux, Jean-Paul Gabilliet est, avec Jean-Paul Jennequin, «le» grand spécialiste français des comic book. Après de nombreuses thèses et articles sur le même sujet dans Le Collectionneur de bandes dessinées, ainsi qu’une participation active à l’ouvrage collectif «On tue à chaque page !», l’érudit et passionné «comicbookophile» nous donne ici une version considérablement remaniée de ses travaux. Nous avons ainsi, à notre disposition, un historique de l’épopée éditoriale de ce type de publication spécifiquement américain, lequel aborde les contraintes commerciales, économiques et culturelles du secteur de cette industrie, tout en esquissant un portrait typologique de ses créateurs et de ses lecteurs. L’auteur en profite également pour chevaucher, à nouveau, son cheval de bataille : la censure contre les illustrés, dans le contexte de la guerre froide, et ses incidences plus insidieuses qui perdurent encore aujourd’hui. Certes, l’ouvrage peut paraître austère au premier abord, mais il s’avère fort utile aux chercheurs francophones et permet une approche très complète de ce domaine peu exploré par les spécialistes ; d’autant plus qu’il contient la reproduction (d’après les planches originales) de deux BD emblématiques du phénomène. Cependant, comme le style du professeur bordelais est particulièrement limpide, le grand public pourra le lire sans s’ennuyer et en profitera pour approfondir, ainsi, sa connaissance partielle de l’histoire culturelle américaine.
“ Le Poulpe T.16 : Les Jarnaqueurs ” par Jeanne Puchol et Michel Boujut
Editions 6 Pieds Sous Terre (11 Euros)
Les intrigues policières ont toujours fait bon ménage avec la BD, et ce, dès le début des années 1930. Aujourd’hui encore, nombre d’auteurs utilisent soit les codes du polar dans leurs séries dessinées, soit reprennent des héros emblématiques du genre. «Le Poulpe» illustre cette deuxième tendance avec la collection «Céphalopode» des éditions 6 Pieds Sous Terre, lesquelles utilisent un personnage type du roman noir français créé par Jean-Bernard Pouy, dont plus de 150 romans sont parus à ce jour, alternant auteurs reconnus et ceux à connaître. Sur le même principe, des dessinateurs venus d’univers graphiques différents (de Joe G. Pinelli à Florence Cestac en passant par Jeff Pourquié, Nikola Witko, Alain Garrigue, Alex Baladi ou Guillaume Guerse) modèlent avec leur patte bédéesque les aventures de Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe. Le 16ème tome, «Les Jarnaqueurs» par l’essayiste et critique cinématographique charentais Michel Boujut au scénario en collaboration avec la talentueuse dessinatrice Jeanne Puchol, est particulièrement réussi : le cercueil de Mitterrand vient d’être dérobé et cette affaire d’Etat met sans dessus dessous le monde politico-médiatique tout en provoquant l’indignation générale…
“ Le Phaco : spécial j’aime Nice ” : revue collective de bandes dessinées
Editions Groinge (12,50 Euros)
Structure d’édition de BD indépendantes crée par les dessinateurs et scénaristes Big Ben et Fafé, Groinge publie, depuis 1999, des auteurs de différentes nationalités et sensibilités qui ont en commun la volonté d’expérimenter en toute liberté, sans pression commerciale et sans formatage éditorial. En fait, avant les éditions Groinge, existait déjà, depuis 1992, le fanzine Le Phaco, créé à Nice et qui a abouti à la copieuse revue annuelle que l’on connaît maintenant. Aujourd?hui, outre l’animation de Comix Club, revue de critique BD, et du Phaco qui en est à son 30ème numéro, les responsables de cette petite structure sortent un numéro hors série consacré à Nice, la ville natale du Phaco. Ce collectif de 112 pages rassemble les piliers du magazine (Big Ben et Fafé, bien entendu, mais aussi Ibn al Rabin, BSK, Matt Broersma, Lynda Corazza, Mooz, Claire Perret…) et quelques gloires locales dans quelques pages où on les sent bien inspirés (Jacques Ferrandez, Olivier Balez ou l’ancien critique et scénariste BD Numa Sadoul) : ils ont tous eu envie de parler de leurs souvenirs qui se rattachent à cette ville balnéaire du sud de la France. Au final, avec ce travail éditorial méritoire, on obtient un recueil de BD qui méritent vraiment le détour ! Ce fascicule est distribué par Le Comptoir des Indépendants, n’hésitez pas à le réclamer à votre libraire !
Gilles RATIER