Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
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Nous allons nous abriter de la pluie des nouveautés prévues pour le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, en sélectionnant, comme d’habitude, quelques albums qui valent vraiment le coup ! Cette semaine, pas de problèmes, vous pouvez acheter les yeux fermés et lire sans appréhension : “ Petit Miracle T.2 ” par Griffo et Valérie Mangin aux éditions Soleil, “ Le chant des baleines ” par Edmond Baudoin aux éditions Du puis, “ Tout va bien T.1 : Yvan et la banquière ” par Thomas Clément et Denis Robert aux éditions Dargaud, “ Un américain en balade ” par Craig Thompson aux éditions Casterman et “ Yossel : 19 avril 1943 ” par Joe Kubert aux éditions Delcourt.
“ Petit Miracle T.2 ” par Griffo et Valérie Mangin
Editions Soleil (12,50 Euros)
Quelques vingt ans avant la Révolution française, un libertin notoire est condamné à être décapité. Sa famille soudoie le bourreau et confie les morceaux du corps au couvent des Ursulines. Une des bonnes sœurs est tentée par le sexe encore en bel état du chevalier qui, miracle, fonctionne encore ! Neuf mois plus tard naît Petit Miracle, un enfant issu de ces amours nécrophiles et dont la tête est séparé du reste du corps. Découvert par un évêque qui voit en lui une créature du démon, ce miraculé est une nouvelle fois sauvé. Cette fois-ci, c’est par Marie-Antoinette et Talleyrand qui le cachent dans la prison de la Bastille. Après 14 années d’emprisonnement, en juillet 1789, notre «héros» est enfin libre et envisage sérieusement de se venger afin d’accomplir son monstrueux destin. Ce fantaisiste scénario historico-fantastique, dû à l’universitaire (et épouse du dessinateur Denis Bajram) Valérie Mangin, est rendu crédible par l’encrage historique et par des dialogues percutants. Le tout est drôle, intelligent et brillamment mis en images par le prolifique Griffo qui adopte ici un style plus caricatural (s’approchant de celui qu’il avait testé sur «Monsieur Noir», chez Du puis). Ce diptyque alléchant nous donne envie de connaître d’autres aventures improbables et perverses de cet enfant à la tête coupée qui voudrait bien trancher celles de tout un peuple !
“ Le chant des baleines ” par Edmond Baudoin
Editions Dupuis (12,94 Euros)
Nombreux sont ceux qui se sont essayé à la poésie en BD et qui se sont cassé les dents. La réussite d’Edmond Baudoin en ce domaine semble être une exception et ce nouvel album intimiste, qui paraît dans la belle collection «Aire Libre», nous le prouve une fois de plus. Il nous raconte le destin d’un homme (ressemblant étrangement à l’auteur) qui erre, seul, dans un port, dans une ville, dans la campagne… Son esprit vagabonde et il s’interroge. Reviennent alors à sa mémoire des bribes de souvenirs : une femme, un soldat, un couple de petits vieux… Plus rien ni personne ne l’attend, mais son cheminement (ou peut-être sa fuite ?) l’emmène irrémédiablement vers le sommet d’une montagne : qu’il y a t-il derrière ? La vie ne sert-elle qu’à comprendre la mort ? Alors qu’il essaie de répondre à toutes ces questions, le grand orchestre de la vie joue sa partition et notre homme essaie de trouver la note qui pourrait s’accorder avec son parcours. Toujours aussi émouvant, Baudoin tente de trouver sa place dans cette cacophonie, accordant harmonieusement textes, traits et couleurs. Chacun interprètera cette quête existentielle à sa façon, suivant ses propres expériences ou sentiments, mais personne ne pourra contester l’incroyable maîtrise de cet artiste plein de contrastes et de contradictions : son dessin au contour sombre et épais déconcerte mais émerveille (surtout quand, comme ici, il tranche avec les couleurs pastels) et son propos, à l’heure des bilans, nous bouleverse…
“ Tout va bien T.1 : Yvan et la banquière ” par Thomas Clément et Denis Robert
Editions Dargaud (9,80 Euros)
Après les auteurs de polars, les réalisateurs de cinéma, les vedettes du show-biz et les romanciers «people», c’est au tour des journalistes-reporters (et néanmoins romanciers) de se mettre à écrire pour la bande dessinée. Denis Robert est connu pour ses écrits dans Santiag, Actuel et Libération mais aussi pour ses romans, ses essais et ses reportages TV. Il s’inspire de ses diverses expériences pour se lancer dans l’écriture BD avec cette nouvelle série de la collection «Poisson Pilote»… Un journaliste trentenaire, lassé du stress de sa profession, décide d’écrire son premier roman. Il est alors contacté par une femme qui a partagé la vie d’une des éminences grises du pouvoir. Atteinte d’un cancer et accusée de trafic d’influences, elle souhaite que le jeune homme écrive un livre sur les agissements de son mari et de quelques autres politiciens véreux. Le côté introspectif de cette chronique de la vie d’un intellectuel blasé se transforme donc très vite en véritable roman noir. Même s’il ne se passe pas énormément de choses dans ce premier tome de présentation, le lecteur sera quand même happé par une atmosphère fort agréable, et ceci dès les premières pages. Le dessin nouvelle vague de Thomas Clément (qui exerce le métier de chauffeur d’hôtel en Espagne et dont c’est la première BD) n’est pas innocent au charme qui s’opère à la lecture de cette histoire fort prometteuse.
“ Un américain en balade ” par Craig Thompson
Editions Casterman (12,75 Euros)
Alors qu’il vient d’être gratifié du Grand Prix de la Critique pour son «Blankets» (roman graphique de 600 pages, largement autobiographiques passant des terreurs de l’enfance et la complexité des premiers amours d’adolescents dans l’Amérique ultra-chrétienne), Craig Thompson publie, toujours dans la très élégante collection «Ecritures» des éditions Casterman, un original carnet de voyage et journal de bord : «Un américain en balade». Cette œuvre de transition est une pérégrination graphique et narrative réalisée par un auteur que l’on sent fragile, sur les trois mois que dura son séjour en France, en Espagne et au Maroc, en 2004. Il y évoque avec pudeur et honnêteté sa solitude, son déracinement, ses souffrances dont il n’hésite pas à se moquer, ses déboires féminins et gastronomiques, ses envies cinématographiques et autres… Bref, une vraie «BD réalité» où le lecteur appréciera la maîtrise narrative et le graphisme original qui joue avec les cadrages et l’épaisseur du trait !
“ Yossel : 19 avril 1943 ” par Joe Kubert
Editions Delcourt (12,50 Euros)
Joe Kubert est l’une des dernières légendes vivantes de la BD américaine. Il a dessiné la plupart des super-héros de l’industrie des comics et a même créé, en 1976, une école de dessin qui porte son nom. Loin d’être blasé, alors qu’il a 78 ans dont 67 de pratique, il continue à croire que le meilleur est devant lui et nous le prouve en publiant ce qui est certainement, au jour d’aujourd’hui, son chef-d’œuvre. «Yossel» est une vision fictive de la vie de son auteur et évoque l’un des tournants de son existence, lorsque ses parents l’emmènent aux Etats-Unis, en 1926, alors qu’il n’avait que deux mois. Que se serait-il passé si sa famille, d’origine juive, n’avait pas pu ou pas voulu quitter la Pologne persécutée par les nazis ? Cette approche originale et remarquablement documentée de la Shoah nous raconte le destin d’un jeune fils de boucher fou de dessin : la rafle dans son village, le ghetto de Varsovie, le départ des siens à Auschwitz, le retour d’un des survivants des «camps de travail», la résistance de ces juifs désespérés à l’ordre du Reich qui consistait à liquider tous les habitants du ghetto, ce 19 avril 1943… La narration, au parti pris exclusivement récitatif, est à la première personne ; les illustrations sont au crayon brut (comme si elles avaient été réalisées sur place) : tout ceci renforce l’horreur ressentie devant l’insoutenable drame de la déportation de la population juive. «Yossel» contribue à réveiller les consciences et c’est surtout en cela qu’il mérite qu’on le qualifie de chef-d’œuvre !
Gilles RATIER