Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Des salopes et des anges »
Dans « Des salopes et des anges », Florence Cestac part d’une histoire qu’elle a elle-même vécue : un voyage à Londres, en 1973, dans le but de se faire avorter !
À l’époque, le droit des femmes à l’interruption de grossesse n’existait toujours pas, du moins en France. Ceci alors qu’un millier d’avortements clandestins se pratiquaient chaque année, avec les risques sanitaires que cela comportait ! En revanche, certaines femmes optaient pour un aller-retour rapide dans les pays proches qui avaient légalisé l’IVG, tel l’Angleterre ou les Pays-Bas.
Trois jeunes filles enceintes, qui ont des vies bien différentes, vont donc faire ce choix : complètement paumées et mortes de trouilles, elles vont se retrouver dans un « convoi », en partance pour la capitale anglaise, organisé par une association militant pour les droits de la femme ; elles deviendront, par la suite, de véritables amies…
Pour l’occasion, cette immense dessinatrice, spécialiste des gros nez, s’est associée à son ami l’écrivain Tonino Benacquista : c’est d’ailleurs lui qui a eu l’idée de ce livre dont le scénario, soutenu par des dialogues aussi drôles qu’incisifs, navigue entre tendresse et didactisme. Il faut dire aussi que la narration graphique de « madame » Florence l’aide énormément : on entre immédiatement dans le sujet, partageant les angoisses de ces femmes qui ont osé braver les interdits d’une société à la vision trop masculine ! D’autant plus que la rondeur de son trait permet de ne pas trop plomber l’ambiance…
Les auteurs insistent aussi sur le fait, qu’en France, le droit à la contraception est très récent : d’ailleurs, plusieurs pages sont consacrées au combat de Simone Veil défendant une loi en faveur de l’IVG, devant un parlement masculin globalement défavorable au sujet : voici donc un témoignage très éducatif, mais qui se lit avec un plaisir non dissimulé !
Curieusement, un autre album de bandes dessinées paru récemment, «  Libre de choisir  » aux éditions Casterman, traite également du combat pour la législation de l’avortement en France et il mérite aussi d’être signalé ! Certes, c’est un traitement différent (car réaliste), mais cet excellent travail est tout aussi émouvant et pédagogique : le dessin de Pierre Wachs reconstituant parfaitement l’ambiance du début des années 70, tandis que le scénario efficace de Philippe Richelle montre bien les choix qu’a dû faire son héroïne, déchirée entre une éducation bourgeoise et le vent de liberté qui souffle alors sur la société française ; ceci avant le retentissant procès de Bobigny (dont l’avocate de l’époque, Gisèle Halimi, signe la préface de l’ouvrage) qui aboutira à la loi Veil, en 1975 …
Gilles RATIER pour bdzoom.com
« Des salopes et des anges » par Florence Cestac et Tonino Benacquista Éditions Dargaud (13,95 €)
« Libre de choisir » par Pierre Wachs et Philippe Richelle Éditions Casterman (€)