Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
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Cette semaine, deux ouvrages édités par Akileos : « Icons : L’Univers DC Comics et Wildstorm de Jim Lee » et « Secret Show » d’après Clive Barker. Et en fin d’article, nous reviendrons sur la très récente annonce de la reprise de DC Comics en France par Dargaud…
« Icons : L’Univers DC Comics et Wildstorm de Jim Lee »
Dans quelques jours (le 7 juillet exactement) va sortir chez Akileos un très bel art book consacré à Jim Lee : « Icons : L’Univers DC Comics et Wildstorm de Jim Lee ». Cet ouvrage est l’édition française à l’identique de l’édition anglophone, et c’est très appréciable. Je m’explique. Là où d’autres veulent à tout prix ajouter leur touche personnelle pour se sentir exister sans apporter finalement quoi que ce soit de réellement intéressant par rapport à l’édition originale, Akileos sait faire preuve de sobriété et d’humilité. À l’instar de l’excellent « Blazing Combat » que cet éditeur avait publié l’année dernière – et qui reprenait page par page la sublime édition de Fantagraphic Books –, ce « Icons » est le frère jumeau de l’édition anglaise parue chez Titan Books, ce qui nous permet d’avoir une meilleure idée de ce qui s’édite par-delà nos frontières aquatiques. Par son format et la qualité des documents qu’il propose, cet art book ne pourra que ravir tout fan de Jim Lee, d’autant plus qu’il se focalise sur la pierre angulaire de cet artiste. En effet, même si Jim Lee a débuté chez Marvel et marqué beaucoup des lecteurs de la Maison des Idées (notamment sur les X-Men), il n’en reste pas moins que DC est historiquement primordial dans son parcours. Car après avoir rejoint les dessinateurs dissidents chez Image Comics et créé le label Wildstorm, c’est bien à DC qu’il revendit ce label avant de travailler pour eux. Après avoir dessiné leurs plus grands héros, il devint même coéditeur de cette maison d’édition. Aujourd’hui, paradoxalement, alors que son pouvoir d’influence est toujours plus important chez DC Comics, nous voyons disparaître Wildstorm… Drôle de boucle bouclée…
Sur près de 300 pages, cet ouvrage déploie un très beau panorama de l’art de Jim Lee en nous proposant des centaines de dessins en tous genres : croquis, recherches, dessins finalisés en couleurs, storyboards, peintures, encres : l’éventail est réjouissant. Et c’est l’une des principales qualités de cet art book. Car évidemment, quand on pense à Jim Lee, on pense tout de suite à des dessins acérés et dynamiques, sculptés par des jeux de hachures et un trait aussi fin que délié dans la puissance. Mais Lee a un spectre de création bien plus large que cet arbre cachant la forêt, et cet ouvrage en rend compte avec justice et justesse. Loin d’être uniforme, l’album est joliment kaléidoscopique, et c’est avec un vrai bonheur d’esthète qu’on admirera tel dessin à l’encre de Batman où les larges ombres du pinceau engendrent une nouvelle dimension – plus fragile – au trait de Lee, telle suite de recherches épatantes au crayon ou au feutre aboutissant au dessin final, telle peinture de Supergirl ou du Joker – assez éloignés de ce qu’on connaît habituellement de Lee – ou tel dessin sur papier coloré rehaussé d’encre et de blanc… L’occasion aussi de découvrir une vision d’« Infinite Crisis » à la Alex Ross assez bluffante, ou bien des dessins rarissimes et inédits, souvent offerts à des proches… La première partie de l’ouvrage consacrée à Batman, notamment, est tout simplement superbe, regorgeant de crayonnés, de peintures et d’encres magnifiques. Les nombreux dessins préparatoires qui nous sont présentés nous font entrer au plus près dans le processus créatif de Lee – que ce soit au niveau graphique ou narratif. Des planches crayonnées et des storyboards pour des films comme « Superman returns » sont autant de clés révélées… Le grand format de l’album nous permet de jouir au mieux des dessins de Lee qui se déploient parfois sur une double page géante, comme le superbe dessin de Batman courant sur les toits…
Mais il n’y a pas que le dessin qui est intéressant ici. Car même si le texte y est minoritaire (l’image y étant résolument reine), il reste tout de même indispensable au vu des informations qu’il distille. En effet, William Baker signe des textes introductifs et des légendes qui laissent transparaître un vrai regard sur le travail de Lee, une bonne connaissance de son Å“uvre et de son art. Mieux, il laisse très souvent la parole à Jim Lee lui-même afin qu’il nous donne le témoignage le plus direct et le mieux placé pour expliquer les choses et présenter ce que nous voyons. Avoir le regard de Lee lui-même ? Un must ! De multiples anecdotes et secrets de création nous sont ainsi révélés, pour notre plus grand plaisir et notre soif de toujours mieux connaître un auteur et son Å“uvre. Le panorama du travail de Lee chez DC Comics, Wildstorm (mais aussi Vertigo) est quasi-exhaustif : « Batman », « Superman » et « Wonder Woman », évidemment, mais aussi « Supergirl », « Green Lantern », « Infinite Crisis », etc. ; du côté de Wildstorm : « WildC.A.T.S. », « Gen13 », « Divine Right », « Deathblow », « Stormwatch », etc. ; et enfin quelques dessins pour des séries Vertigo, comme « Transmetropolitan »… L’ouvrage se clôt sur une histoire inédite de la Légion des Super-Héros écrite par Paul Levitz et encrée par Scott Williams. Bref, un ouvrage de référence pour tous les admirateurs de ce grand dessinateur. À lire !
« Secret Show »
C’est dans une très étrange histoire que nous entraîne ce comic… Normal, me direz-vous, puisque c’est l’adaptation d’un roman de Clive Barker ! Les amateurs se douteront donc qu’il ne sera pas question ici d’histoire à l’eau de rose… mais plutôt de récit horrifique. Ce que l’on pressent tout de suite en prenant l’ouvrage en mains, c’est qu’on va en avoir pour son argent, ce comic s’étalant sur quelques 270 pages qui vont nous donner tout loisir de nous enfoncer profondément dans l’intrigue. Une lecture de longue haleine, donc, dont l’étendue est une jouissance en soi. C’est vrai qu’il en fallait, des pages, pour adapter correctement cette Å“uvre ambitieuse. Le postulat de Barker dans « The Great and Secret Show » est aussi simple qu’efficace, dans la droite lignée des maîtres contemporains de l’horreur dont il ne va pas tarder à faire partie, mettant en application les grandes ficelles du genre pour mieux les triturer.
Un jour, l’employé de bureau de poste Randolph Jaffe est relégué au tri du courrier abandonné. Parmi toutes les lettres qui n’ont pas trouvé de destinataire, Jaffe va trouver plusieurs éléments lui révélant l’existence d’une très ancienne société secrète appelée Le Banc et qui a un dogme (l’Art) et un paradis (la Quiddité, une mer des rêves). Dès lors, Jaffe ne va avoir de cesse que de trouver le moyen de pratiquer l’Art, d’accéder à la Quiddité et au pouvoir. Pour ce faire, il va s’adjoindre les connaissances et les moyens de Fletcher, génie scientifique drogué qui l’aidera en créant le Nonce. Mais très vite les deux « collègues » n’auront pas la même vision de l’utilisation du Nonce, et un combat sans pitié va commencer entre les anciens associés. Une lutte meurtrière, démentielle, qui va les mener à s’écraser et se retrouver bloqués sous le sol d’une petite ville, Palomo Grove. Nous sommes en 1971. Bloqués sous terre, Jaffe et Fletcher vont néanmoins réussir à féconder quatre jeunes filles venues se baigner au-dessus d’eux dans un étrange lac. Traumatisées, les « vierges violées » auront différents parcours plus ou moins dramatiques, mais de cette union contre-nature naîtront des enfants qui – une fois devenus adolescents – pourront continuer le combat à la place de leurs géniteurs. Du moins c’est ce que souhaitaient lesdits géniteurs… Mais les choses ne vont pas se passer comme ils le croyaient, et ils vont devoir agir pour influer sur le destin. Qui de la lignée de Jaffe ou de Fletcher réussira à prendre le dessus ?
Chris Ryall s’en est très bien sorti avec cette adaptation, sachant trouver un bon équilibre entre nécessité de l’écriture, dialogues et ambiances. C’est assez touffu sans être assommant, ne faisant pas de coupe trop franche dans la richesse du roman pour en garder toute la saveur. Le découpage y gagne en efficacité, dans une belle rigueur, et la lecture est fluide et intense à la fois. Mais il faut bien sûr parler du travail formidable de Gabriel Rodriguez qui a assuré un univers graphique d’une extrême cohérence de la première à la dernière page. Son style très dessiné, entre réalisme et esthétique de marionnettes, s’avère fort et pertinent. Pour quelques personnages – comme Jaffe – il exagère la taille des yeux, ce qui engendre une étrangeté et un malaise certain, surtout que Rodriguez dessine les regards avec une grande application. Son style est à la fois souple et comme taillé à la serpe, souvent anguleux dans les modelés, et ne cesse d’intriguer le regard. Son adaptation des terata de Jaffe, par exemple, est vraiment épatante. Ces insectes répugnants qui incarnent les peurs des êtres deviennent fascinants sous son trait, et l’on ne peut qu’être admiratif devant autant de talent à réinvestir les formes. Comme le dit lui-même Clive Barker dans sa préface à l’ouvrage, Gabriel Rodriguez a fait un travail exemplaire, et il porte l’univers et l’ambiance du roman de bout en bout sans faillir ni faiblir. Son dessin est adroitement mis en valeur par la mise en couleurs de Jay Fotos qui y est aussi pour beaucoup dans la réussite esthétique de l’album, nous plongeant dans des atmosphères glauques à souhait… Il y a même quelque chose de fascinant, dans le dessin de Rodriguez, faisant presque corps avec son sujet. Ce copieux album se clôt sur les couvertures originales, des croquis de Rodriguez, mais aussi de Clive Barker ! Pour les amateurs de conquêtes mystiques et de grosses bébêtes angoissantes…
DC Comics/Dargaud
Comme promis, je finis avec cette annonce tombée officiellement ce 29 juin par communiqué de presse et qui fait déjà pas mal de bruit : c’est bien Dargaud qui va reprendre l’édition en France des publications du groupe DC Comics à partir de janvier 2012. Ainsi donc, Panini aura fini par perdre le marché, quelque peu abasourdi par cette nouvelle. Mais à force de faire n’importe quoi, cela ne devait-il pas arriver un jour ou l’autre ? Depuis quelque temps, les fans français de comics de demandaient si pouvoir lire des comics en VF via Panini n’était pas pire que de ne pas pouvoir les lire, tellement leur « politique éditoriale » ne ressemble à rien, abordant les titres et les collections avec incohérence et sans sérieux, faisant des choix plus que critiquables. Vous allez me dire que je rabâche (car j’en ai parlé encore il y a peu), mais comment expliquez-vous que l’intégrale de « Sandman » ne soit toujours pas bouclée alors qu’ils avaient annoncé avec fierté qu’ils allaient enfin le faire ? Ça fait maintenant plus de deux ans qu’on attend les deux volumes qui restaient à éditer… Mais rien… Rien de chez rien… Pourtant c’est Neil Gaiman, pourtant c’est un chef-d’Å“uvre reconnu mondialement, mais… non. Même ça, ils ne l’auront pas tenu. Alors qu’ils ne viennent pas pleurer et s’étonner, maintenant. J’ai déjà ouï dire que dans certains forums certains geeks s’émeuvent de cette reprise en regrettant déjà ceux qu’ils vilipendaient deux jours avant avec cette prétention bien connue des invertébrés acéphales, redoutant que « Transmetropolitan » soit réédité en format « Schtroumpfs », craignant que Dargaud dénature l’esprit comics. Je pense que toutes ces craintes ne sont pas sérieuses, et que Dargaud est capable de faire non seulement aussi bien, mais bien mieux que Panini. En effet, depuis quelques années maintenant, tous les six mois, Dargaud sort un nouveau volume de l’intégrale des « Peanuts », une édition française à l’identique de la sublime édition américaine de Fantagraphic Books, dans un format à l’italienne avec jaquette : un pari ambitieux, culturel et esthétique maintenu avec sérieux. Et puis n’oublions pas que Le Lombard édite depuis peu son premier comic… en format comic : « FreakAngels » de Warren Ellis (dont je vous ai parlé ici même et dont je vous reparlerai cet été) ! Ce qui prouve qu’un tel éditeur est non seulement capable de faire des choix courageux, mais en plus de ne pas dénaturer l’Å“uvre. Bref, je trouve que cette reprise est plutôt une bonne nouvelle, Dargaud me semblant plus sérieux que Panini. Car vous savez quoi ? Il leur reste six mois, à nos amis italiens, pour finir en beauté. Eh bien je vous parie tout ce que vous voulez qu’ils n’auront toujours pas bouclé « Sandman ». Ne doutons pas que les éditions Dargaud sauront ne pas se focaliser sur les seuls super-héros DC et que la part belle sera faite à ce sublime terreau qu’est Vertigo… même si outre-Atlantique on semble vouloir simplifier l’identité DC en assassinant Wildstorm et en assimilant Vertigo au nom du groupe… Ça bouge, ça bouge !
Cecil McKINLEY
« Icons : L’Univers DC Comics et Wildstorm de Jim Lee », texte de William Baker Éditions Akileos (35,00€)
« Secret Show » par Gabriel Rodriguez et Chris Ryall Éditions Akileos (29,99€)