Depuis presque 20 ans, l’idée d’une comédie de mœurs romantique sur fond de satire politique où une Première Dame aurait la possibilité d’influencer les affaires publiques de notre pays trottait dans la tête de Didier Tonchet : prolifique créateur de BD humoristiques bien connu (ahhh, « Raymond Calbuth » !) et scénariste toujours inspiré, comme c’est le cas ici (1)… Il nous embarque avec délices dans la jouissive histoire d’une actrice engagée de seconde zone qui va gagner le cœur des Français et d’un président de la République dont la cote de popularité est en chute libre, à un an des élections : le tout mis énergiquement en images, tout au long de 270 pages, par le dessin virevoltant de Jean-Philippe Peyraud (2)…
Lire la suite...« Le Chant de la femme parfaite » : quand Makyo décrypte l’ailleurs…
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La vie d’Alan Zédher, cryptologue pour l’armée française, bascule lors d’une mission en Afghanistan. Hanté par son erreur, en proie à de violents traumatismes et à des hallucinations, atteint d’un paludisme incurable, il entame une période particulièrement compliquée de sa vie… Jusqu’au jour où il fait une rencontre pour le moins inattendue : un sosie de son ex-compagne, qui semble posséder un étrange pouvoir de guérison ! Signé chez Delcourt par Makyo et le dessinateur Bunro Cannucciari, ce one-shot de 104 pages explore subtilement le jeu des croyances et des représentations, entre séquelles psychologiques et rupture amoureuse.
Décrypter les signaux, interpréter et tenter de comprendre… La mission attribuée dans ce récit au principal protagoniste, le lieutenant Alan Zédher, ne cesse de renvoyer à un leitmotiv de cette rubrique : que nous donne au juste à voir la couverture de l’album ? Quel sens peut-on extraire des éléments (visuels ou textuels) donnés à voir, de manière plus ou moins directe ou symbolique ? Dans le cas présent, le lecteur tentera initialement de lier le titre au visuel : voici une belle jeune femme blonde, enveloppée dans un drap rose au beau milieu de la nuit, entre poteaux électriques, feuillages et champ de blé. Si cette apparition ne chante pas, contrairement à ce que souligne le titre, il n’en demeure pas moins que l’image demeure poétique, merveilleuse, et certainement un rien surnaturelle. Plusieurs détails peuvent dès lors se rattacher au genre fantastique : l’atmosphère bleu nuit, le halo blanchâtre du premier plan, le caractère inconnu et étrange de cette femme, regardant seule vers les étoiles. De fait, cette incarnation angélique du sexe féminin (qualifiée de « femme parfaite », le tout en lettres rosées renvoyant explicitement à l’unique silhouette visible) semblera faire le lien entre le sol et le ciel, la Terre et l’espace, épis de blé (ou crop-circles…), poteaux ou branchages accompagnant cette élévation visuelle.
Dans les premières planches, cependant, point encore de femme. L’action débute dans une base française en Afghanistan : un jour, Alan est victime à un phénomène paranormal, qui vient troubler sa tentative de décryptage d’une communication. On lui reprochera bientôt d’avoir mal renseigné ses camarades, tombés en opération lors d’une embuscade. Forcé de démissionner, en proie à une profonde culpabilité, Alan retourne à une vie civile, entre crises de tétanie et d’angoisse. Suivi par son ami médecin Frank, il se lance dans l’étude des ondes scalaires émises par le corps humain, persuadé que ces recherches scientifiques pourront expliquer les faits. Épuisée par leur relation, sa femme Catherine le quitte pour rejoindre une mission humanitaire en Afrique…
Le récit s’engage dès lors dans des développements fantastiques et parapsychologiques, domaines où Makyo excelle. Dessinée de manière réaliste par Bruno Cannucciari (« Kraken » chez Soleil en 2018), l’aventure nous emmène aux frontières des sciences neurologiques et de la science-fiction spiritualiste : sans dévoiler tous les détails et rebondissements de l’intrigue, disons que la réflexion sur la mission dévouée à Alan s’accorde aux questions et thématiques de l’amour, du salut et de la transmission. Réduite à trois personnages (deux hommes et une femme), l’intrigue est aussi portée par d’autres interrogations : ou comment choisir entre soi-même et les autres, l’intime et l’universel, la confiance, le sacrifice et la valeur d’un être… L’album, certainement atypique, ne serait-il finalement pas l’un des plus poétiques et métaphysiques de ce début d’année ?
Concluons cette chronique… en revenant à la genèse de ce projet ! Aux origines du présent album figure en effet un surprenant article lu par Pierre Makyo : l’histoire de l’Australien James Harisson, revenu à la vie à 14 ans après une lourde opération des poumons. L’adolescent avait été sauvé grâce à 13 transfusions de sang ; il décidera sa vie durant de donner à son tour son sang. Or, le plasma de James va révéler de propriétés rares : des anticorps « anti-D », susceptibles de prévenir les victimes de la maladie hémolytique du nouveau-né, et qui conduit à des fausses-couches, des morts prématurées ou de malformations cérébrales. James réalisera (jusqu’à plus de 80 ans) pas moins de 1 173 dons, permettant de sauver ou protéger… plus de 2,4 millions de bébés, selon les estimations de la Croix Rouge ! Un incroyable récit de vie, qui allait donc inspirer Makyo pour imaginer une histoire fantastique touchante… aux accents de réalité.
Philippe TOMBLAINE
« Le Chant de la femme parfaite » par Bruno Cannucciari et Makyo
Éditions Delcourt (22,50 €) – EAN : 9782413022220
Parution 5 février 2025