Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...C’est en Nouvelle-France qu’Ayroles et Guérineau poursuivent, avec panache, les péripéties et manigances de l’aristocrate libertin Saint-Sauveur…
Le premier tome de « L’Ombre des Lumières » sorti l’an passé (1) se terminait par le départ, en ce milieu du XVIIIe siècle, du malfaisant chevalier de Saint-Sauveur pour le Nouveau Monde. En effet, toutes ses intrigues se sont retournées contre lui ! Après avoir séduit et trompé la jeune Eunice de Clairefont éprise de la philosophie des Lumières, menacé de mort par son mari et criblé de dettes, Saint-Sauveur a été obligé de s’exiler. En débarquant à Québec, il ne désespère cependant pas de retrouver sa place à Versailles, d’autant plus qu’un de ses peu fréquentables amis lui a proposé d’effacer toutes ces dettes s’il accepte de réaliser une mission vengeresse qui va lui permettre de déployer ses funestes talents…
Au bord du navire sur lequel il a traversé l’Atlantique, Saint-Sauveur était aussi en compagnie de l’intrigant petit marquis d’Archambaud et de sa belle et innocente fille Aimée. Archambaud avait récemment été nommé maître des requêtes par le roi Louis XV, alors que le comte de Mirepoix estimait que ce poste aurait dû revenir à son fils. Mirepoix lance donc un nouveau fructueux pari à Saint-Sauveur : parvenir à marier la noble progéniture du rival de son garçon à un Iroquois sauvage, ceci afin de jeter l’opprobre sur sa maison.
Cela tombe plutôt bien, puisque notre vil manipulateur a embarqué avec deux de ses laquais : son valet philosophe Gonzague qu’il envoie s’occuper de son comptoir de fourrures au milieu des coureurs de bois peu enclins à échanger avec lui du « Discours sur la servitude volontaire » de La Boétie… et l’Iroquois Adario. Ce dernier se prétend prince en exil : son royal père ayant été assassiné par son propre frère. Ainsi, l’antipathique nobliau va-t-il tenter de jouer impunément avec les cœurs à coups de risibles manœuvres… mais rien ne se passe comme prévu, évidemment !
En transposant dans les rustiques et sauvages Amériques la libération des mœurs et le souffle de liberté qui régnait alors à la cour française — notamment retranscrits dans le roman « Les Liaisons dangereuses » de Pierre Choderlos de Laclos qui l’a beaucoup inspiré —, Alain Ayroles (2) se délecte de la confrontation de ces deux univers si éloignés, ponctuant son habile et intelligente narration d’une correspondance épistolaire remarquablement écrite, dans le style de l’époque.
Son complice illustrateur Richard Guérineau (3) n’est pas en reste, car il rivalise de maîtrise et de virtuosité en représentant de ridicules blasonnés qui se veulent encore aristocrates au fin fond des marais ou des forêts de cette terre inhospitalière pour laquelle se battent pour lors les Anglais et les Français. Le tout dans une ambiance épique à la « Dernier des Mohicans », où les Amérindiens des différentes nations indiennes semblent avoir beaucoup plus de valeurs et d’esprit que les sulfureux produits de la noblesse de Versailles : le sauvage n’étant pas toujours celui que l’on croit !
Le tome 3 — que nous attendons avec impatience — devrait nous permettre de connaître le dénouement de ce passionnant et détonnant roman historique, signé par un duo d’auteurs aguerris au sommet de leur art !
Gilles RATIERÂ
(1)  Voir : Ayroles et Guérineau dévoilent les ombres qui planent sur le siècle des Lumières….
(2)  Sur Alain Ayroles voir sur BDzoom.com : Une superbe série steampunk dérivée du « Château des étoiles », par le scénariste des « Indes fourbes » et de « De cape et de crocs »…, Dans les pas de Cervantès, avec un véritable et formidable roman picaresque en BD signé Guarnido et Ayroles !, « De cape et de crocs T11 : Vingt Mois avant » par Jean-Luc Masbou et Alain Ayroles, « D T3 : Monsieur Caulard » par Bruno Maïorana et Alain Ayroles, Dernier acte pour « De Cape et de crocs »…
(3)  Sur Richard Guérineau voir sur BDzoom.com : Métal hurlant : un hommage vibrant à H.P. Lovecraft !, Coup de tête : une nouvelle collection chez Delcourt pour raconter notre monde, à travers le sport !, « Henriquet : l’Homme-reine » par Richard Guérineau, « Le Chant des Stryges T17 : Réalités » par Richard Guérineau et Éric Corbeyran, « Charly 9 » par Richard Guérineau [d’après Jean Teulé], « XIII Mystery » T5 (« Steve Rowland ») par Richard Guérineau et Fabien Nury, Après la nuit…
« L’Ombre des lumières T2 : Dentelles et Wampum » par Richard Guérineau et Alain Ayroles
Éditions Delcourt (22,95 €) — EAN : 9 782 413 07855 5
Parution 2 octobre 2024
Si le dessin de Richard Guerineau est tout à fait remarquable, la narration sous forme épistolaire complique trop la fluidité de lecture de cet album à mon sens. Due ce fait j’hésite beaucoup à investir dans le tome 2. Votre commentaire en faveur d’Alain Eyrolles, dont j’avais beaucoup apprécié « les Indes fourbes », me semble trop dithyrambique.
Bonjour Patrick !
Votre opinion est tout à fait légitime et je comprends très bien vos arguments, mais mon texte est lui aussi tout à fait acceptable par tout un chacun et est, à mes yeux, en aucun cas trop dithyrambique…
En effet, je persiste et signe, contrairement à ce que vous pensez, je trouve que l’original apport épistolaire est un véritable plus pour la narration, obligeant le lecteur à bien assimiler qui écrit à qui pour pouvoir mieux identifier les protagonistes et se souvenir plus facilement des nombreux personnages de l’histoire, entre autres…
Après, tous les goûts sont évidemment dans la nature… et les ressentis sont différents selon les gens…
Merci encore pour la lecture attentive de nos articles…
Bien cordialement
Gilles RATIER
Bien écrite, bien découpée, bien dessinée (à comparer avec les premiers Stryges … ) : que demander de plus ?