Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Aventure familiale émouvante en zone dangereuse avec le « Retour à Tomioka » …
Deux orphelins s’unissent pour un dernier hommage à leur grand-mère défunte. Cette histoire familiale émouvante porte une forte charge anxiogène quand leur périple les mène au cœur de la zone contaminée de Fukushima. Nul pathos ni sermon antinucléaire dans « Retour à Tomioka », mais un récit touchant, poétique et d’une grande justesse.
Le 11 mars 2011, un gigantesque tsunami provoque la noyade de 18 000 personnes à Fukushima au Nord du Japon. Un séisme concomitant entraîne un accident nucléaire du plus haut niveau dans la centrale nucléaire de la ville. 300 000 Japonais sont évacués de la zone irradiée, parmi ceux-ci deux jeunes orphelins : Osamu et Akiko et leur grand-mère Bâ-chan. Les parents ont disparu et, deux ans après la catastrophe, chacun surmonte le traumatisme à sa façon : Akiko produit des tutos beauté sur les réseaux sociaux et est très fière de ses milliers de followers, l’aïeule s’occupe patiemment de ses deux petits-enfants, pendant que le plus jeune se réfugie dans un imaginaire peuplé de yôkai : créatures surnaturelles du folklore japonais, ici malicieuses, mais parfois malfaisantes.
Quand Bâ-chan décède, une petite cousine et son mari viennent pour se charger des deux orphelins et les conduire dans leur appartement tokyoïte. Osamu refuse obstinément les injonctions des adultes d’enterrer les cendres de Bâ-chan loin de la ferme familiale. Avec l’urne funéraire il décide de fuguer et de pénétrer, malgré les contrôles, dans la zone interdite où les radiations sont encore très fortes.
Après un moment d’hésitation, sa grande sœur le suit au grand désespoir du mari de leur cousine. Commence alors un road-trip haletant pour les deux jeunes poursuivis par la police dans une zone sinistrée, où ils croisent des animaux de toutes sortes et quelques hommes qui les protègent, malgré les radiations.
« Retour à Tomioka » est notre premier coup de cœur jeunesse de cette rentrée 2024. Cette bande dessinée évite tout message moral sur le nucléaire pour se concentrer sur les émotions et les interrelations des principaux personnages ; leur entêtement, leur peur ou leur résilience. Ce devait être, en 2019, un long-métrage d’animation.
Ce projet cinéma prenant du temps le scénariste, Laurent Galandon, a proposé au dessinateur Michaël Crouzat qui travaillait sur le projet d’en faire une version bande dessinée. On voit, dans la qualité des cadrages, la création des ambiances ou la fluidité des séquences, tout le savoir-faire acquis dans le monde du dessin animé par cet animateur talentueux. Il s’inspire parfois ouvertement du graphisme d’Hayao Miyazaki dans l’œuvre duquel on retrouve de nombreux yokaï comme dans ses films cultes : « Princesse Mononoke » ou « Le Voyage de Chihiro ».
Scénariste accompli depuis ses débuts, il y a près de 20 ans, récompensé du Prix Jacques Lob en 2023 pour l’ensemble de son travail, Laurent Galandon explique ainsi son choix de la fiction, voire du surnaturel pour évoquer les conséquences d’une catastrophe bien réelle : « Je suis un raconteur d’histoire. La fiction est mon outil. Et j’adhère volontiers aux propos de James Ellroy lorsqu’il dit « Le pouvoir de la fiction est toujours plus fort que le documentaire historique » Ou pour être moins radical, je crois que la fiction facilite l’accès au sujet, notamment lorsqu’on s’adresse aussi au public jeune. « Retour à Tomioka » n’est pas un plaidoyer antinucléaire mais une invitation au débat et à la vigilance. »
Nous ne pouvons que vous encourager à lire ce bel album, dont la poésie n’est pas entravée par la documentation rigoureuse sur le sujet. De belles thématiques sont abordées dans cette quête initiatique telles la résilience, le deuil, l’écologie ainsi que les aléas technologiques évidemment, mais aussi l’importance des liens fraternels et de la famille ainsi que de la culture pour surmonter les traumatismes les plus lourds. Une œuvre forte, sensible et émouvante.
Laurent LESSOUS (l@bd) »
« Retour à Tomioka » par Michaël Crouzat et Laurent Galandon
Éditions Jungle (19,00 €) – EAN :  978-2-822-23421-4
Parution 22 août 2024