Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...René Pellos : l’homme qui savait tout dessiner (seconde partie)…
Suite et fin de ce dossier sur René Pellos : un dessinateur inclassable, aujourd’hui bien oublié. Capable de tout dessiner – des coureurs du Tour de France au délirant trio des Pieds nickelés, en passant par Durga Râni (la reine de la jungle) et Monsieur Petipon, l’aviateur farfelu ; de l’adaptation rigoureuse de « La Guerre du feu » à — bien sûr ! — « Futuropolis » (sa série culte) -,il a brillé dans tous les genres. Dessinateur du sport, qu’il a magnifié par son trait dynamique, ce maître en caricatures, précurseur de la BD d’anticipation était un expert dans l’art du mouvement. Pour lire la première partie du dossier, cliquez ici René Pellos : l’homme qui savait tout dessiner (première partie)….
Toujours à la SPE, en plus des aventures des Pieds nickelés, on lui doit aussi quelques histoires au trait réaliste : « À l’aurore des jours humains » de Jean Sylvère (autre pseudonyme de René Thévenin aux textes toujours aussi envahissants), du n° 4 (octobre 1948) au n° 18 de L’Épatant/Journal des Pieds nickelés ;
« Éric Bertrand : mission sur Alpha », écrit par Montaubert (pseudonyme de Pierre Collin), dans le n° 3 de Pschitt junior spécial (09/1963) et réédité dans Le Journal des Pieds nickelés n° 42 (02/1964).
On lui doit aussi « Aventure dans les îles » : une histoire publiée d’abord dans la collection Mondial Aventures, en 1954, sous le titre « Les Mystères de l’atoll », d’après Robert Louis Stevenson, et republiée du n° 22 (01/1967) au n° 30. Sous le titre d’origine, ce récit est réédité par Glénat, en 1978, dans la collection BDécouverte.
René Pellos signe aussi les illustrations du roman de flibuste « Pol l’Olonnois », de Gustave Guitton, dans Le Journal des Pieds nickelés n° 22 à 40.
À raison d’une page par numéro, il est le dessinateur de la série publicitaire « Pépin Pschitt » dans Pschitt junior, du n° 29 au n° 93 (1957–1963), et Pschitt aventures, du n° 1 au n° 16 (1957 et 1958).
Sous le nom de Pschitt junior, ce héros farfelu est présent dans Jeunesse joyeuse du n° 29 au n° 93 (1957–1963).
Ces pages sont réunies dans deux albums au faible tirage édités par les éditions Regards, en 2004 et 2006.
Toujours dans le domaine de la publicité, il illustre jusqu’en 1963 les annonces pour Perrier et Pschitt figurant au dos des Beaux Albums de la jeunesse joyeuse, dédiés aux « Pieds nickelés ».
Sans nuage depuis son arrivée avant-guerre, sa collaboration avec la SPE s’assombrit après son rachat par Jean-Pierre Ventillard en 1969. Avec des budgets de plus en plus étriqués, les journaux périclitent, jusqu’à l’abandon de la presse en 1979. Heureusement, la présence de son ami Raymond Maric, rédacteur en chef inventif et homme de cœur, permet à René Pellos de poursuivre les « Pieds nickelés » dans les meilleures conditions possibles, jusqu’à son départ à la retraite en 1981.
Les années folles d’après-guerre
La SPE n’est pas le seul employeur qui se souvient de Pellos. À sa collaboration ininterrompue avec cette dernière s’ajoute la participation plus ou moins longue à des journaux parfois éphémères.
Pour France-Soir jeudi, le supplément jeunesse du quotidien, il dessine « Monsieur Bémol », du n° 1 (03/05/1947) au n° 28,
puis « Tic et Tac, les Tichoulets » (scénario de Jak Orcin), dans le n° 30 et dernier : une série poursuivie jusqu’au n° 61 (31/07/1947), alors que l’hebdomadaire — racheté par la Société française de presse illustrée (SFPI) — devient Zorro au n° 59.
Tout au long de sa parution, du n° 9 au n° 59 (09/07/1947), France-Soir jeudi publie de nombreuses illustrations sportives mais aussi de romans (« Les Bandits de l’Arizona » de Gustave Aimard). Il faut attendre le n° 195 (05/03/1950) pour retrouver la signature de Pellos, avec « Kid “Pêche” », qui évoque les combats d’un jeune boxeur courageux, série qui prend fin dans le n° 224.
Dans le n° 222 (10/09/1950),il commence l’adaptation spectaculaire de « La Guerre du feu » de J.-H. Rosny aîné, laquelle se termine dans le n° 267 (15/07/1951).
Toujours pour Zorro, puis dans son successeur L’Invincible, il propose « Casque d’or », du n° 225 au n° 234 ;
« Tout pour l’équipe », du n° 235 au n° 244 ; « Firmin Sérac, le jeune montagnard », du n° 245 au n° 255 ;
enfin « Chouchou, le roi de la petite reine », du n° 256 au n° 1 d’une nouvelle série, en octobre 1952. Ces histoires aux protagonistes sportifs témoignent de la parfaite maîtrise du dessinateur pour traduire l’effort des champions.
Les superbes pages de « La Guerre du feu » ont été réunies dans un album de la collection Patrimoine par Glénat en 1976, réédité en 2005.
« Chouchou » (le coureur cycliste) a fait l’objet de deux albums à faible tirage aux éditions Regards en 1998.
L’ensemble de ces histoires est repris dans la revue Héros magazine en 1951 et 1952, dans les nos 35, 39, 42, 51, 55, 45, 50, 54, 59, 62, 63, 64 et 66.
En 1947, René Pellos renoue avec les éditions de Montsouris et l’hebdomadaire Pierrot.
Il y dessine « Les Aventures de « Génial Barbizet » », du n° 1 (18/05/1947) au n° 21.
Il revient dans le n° 99 (18/09/1955) avec la réédition de « Monsieur Petipon » — qui se poursuit jusqu’au n° 8 de la nouvelle série mensuelle (mars 1957) — et diverses histoires courtes comme « L’Impossible Victoire », au n° 12 de 1956.
On le rencontre aussi en 1956 dans la nouvelle formule de Coq hardi je serai — racheté par Montsouris — avec des récits complets vécus : « La Vie de Marcel Cerdan » (n° 9 de février 1956), « André Citroën » (nos 13 et 14), « Jean Mantelet » (nos 15 et 16).
En 1948, il renoue avec la science-fiction dans Mon Journal, l’hebdomadaire des éditions Aventure et voyages, en dessinant la série « Atomas », un super-héros imaginé par Robert Charroux du n° 70 (01/01/1948) au n° 86. Les deux dernières pages sont signées « d’après Pellos ». Inachevée, cette histoire devenue culte est réunie avec les quelques pages d’« Électropolis » dans un album à faible tirage édité par Apex, réédité par les éditions Regards en 2000, puis par Mégapolis en 2013.
Au milieu des années 1950, René Pellos effectue un court passage chez Fleurus. Il réalise quelques récits complets dans Cœurs vaillants, de 1954 à 1960 : « Deux As au Tour » (n° 27 de 1954), « Les Naufragés de l’air » (n° 21 de 1955), « La Conquête des airs » (n° 20 de 1956), « Le Campionissimo » (n° 17 de 1960)… Il y propose aussi des illustrations et une adaptation — avec le texte sous les images — de « Moby Dick » d’après Herman Melville, du n° 39 au n° 48 de 1955.
Plus anecdotique, il dessine « Un homme qui a su jouer le jeu », un court récit complet, dans Fripounet et Marisette n° 32 (07/08/1955).
Pour la page jeunesse du Dauphiné libéré, il réalise « Rock Gérard » en 1950, « L’Épopée des cimes » en 1953, « Moustique, roi des grimpeurs » et « Ralph, reporter sportif » en 1963. Histoire de montagne au trait réaliste, « Rock Gérard » revient dans l’hebdomadaire Ima du n° 52 (03/01/1957) au n° 73.
Notons encore les illustrations de « La Chronique de Micky » dans l’hebdomadaire Ciné-miroir, de 1946 à 1949.
Une sélection de ces pages est reprise dans un album à faible tirage paru aux éditions Regards en 1999.
Et toujours le sport
Bien que la bande dessinée soit majoritaire dans ses travaux réalisés après-guerre, René Pellos n’oublie pas sa passion pour la presse sportive.
Il livre récits complets et illustrations dans Sport junior : « Laurent Dauthuille » (n° 1 d’octobre 1950), « Jean Prat » (n° 7), « Hugo Koblet » (n° 11)…
Pour L’Équipe junior, il réalise des récits complets dédiés aux sportifs : « Sugar Robinson, l’ange noir des rings » (n° 1 du 31/05/1955), « Jules Ladoumègue » (n° 7), « Alex Jany » (n° 15), « Marcel Cerdan » (n° 20), « Émile Allais » (n° 34)…
Il propose des illustrations dans l’hebdomadaire Vaillant : « Les Belles Histoires de la Coupe du monde » de Maurice Vidal, du n° 681 (du 01/06/1958) au n° 683 ; « La Belle histoire du Tour de France » du n° 686 au no 688.
Pour L’Intrépide, il illustre « Le Roman du Tour de France », du n° 595 (01/04/1961) au n° 608, tandis qu’il met en images « La Carrière de Louison Bobet » dans le n° 22 de Jean-Pierre, en 1955.
De 1949 à 1952, il propose des couvertures et des illustrations dans Sport digest.
Idem de 1952 à 1955, où il réalise des illustrations et des couvertures pour Sport sélection.
Il est présent avec régularité dans l’hebdomadaire d’obédience communiste Miroir sprint, de 1949 à 1971, où il propose des couvertures, des illustrations et quelques bandes dessinées : « Louison Bobet » en 1963 ou « Les Aventures de Pêchedur et Briquemol » en 1956 et 1957.
Idem pour Miroir du cyclisme, de 1960 à 1978, où il caricature plus particulièrement les grandes épreuves cyclistes, dont le Tour de France.
Modestement, il illustre des ouvrages pour la jeunesse écrits par Henry Clérisse : « La Conquête du Grand Nord » et « Les Contes de la brousse et du bled », mais aussi « Hoppy la marmotte » de Philippe Gaussot, « Valentine, gamin de Paris » de Herman Grégoire, « La Patrouille du Tour de France » de Jean Buzancais…
Il signe illustrations et couvertures pour la série « Les Gangsters de l’air » de José Moselli, pour des romans western de George Fronval…
En 1967, à la demande de René Goscinny, qui apprécie son travail, il publie le premier épisode complet de « Tonton Quichot’ » (scénario de Fred), dans le n° 378 (16/01/1967) de Pilote.
Un second épisode écrit et dessiné par ses soins n’a jamais été publié par l’hebdomadaire des éditions Dargaud. Il a été repris dans le n° 12/13 de la revue Haga en mai 1974. Confier un scénario de Fred à Pellos, qui n’y a pas compris grand-chose, n’était peut-être pas une bonne idée…
C’est avec l’insistance amicale de Pierre Pascal, nostalgique du Junior des années d’avant-guerre, qu’il se lance dans la réalisation d’une suite de « Futuropolis ». Écrite par Pierre Pascal, « Novopolis » est une parodie bon enfant de l’histoire culte, l’œuvre d’un presque octogénaire qui y met le meilleur de lui-même.
Prépubliées dans le mensuel Neutron, curieusement édité par les sulfureuses éditions CAP — ex-Sedem et futures IPM —, les planches de « Novopolis » sont réunies en 1982 dans un album édité par Mars-Aps.
Ce sera l’ultime participation de René Pellos à une bande dessinée.
Nombreux sont, parmi ses lecteurs, ceux qui se sont interrogés sur sa signature agrémentée chaque année par un motif différent. Voici son explication donnée à Jean-Paul Tibéri : « Je n’ai pas la prétention, comme Picasso et d’autres, de mettre une date sous ma signature, ce serait grotesque. Pour ne pas me faire rouler dans les histoires de droits de reproduction, il me faut un repérage année par année. C’est ainsi que tour à tour j’ai utilisé un cœur, une tête de chat, un carré, un cube, une étoile à quatre ou cinq branches, etc. »
Retraité, il réside dans la région cannoise, auprès de son épouse Ida et de ses deux filles, Jacqueline et Michèle.
Ses amis Raymond Maric et Jean-Paul Tibéri militent pour que son œuvre ne tombe pas dans l’oubli.
Habitué des premiers Salons d’Angoulême, où il fête son anniversaire, il y reçoit le Grand Prix en 1976.
Cet homme discret et modeste, qui n’a jamais recherché les honneurs, décède à Canne le 8 avril 1998, à 98 ans. « J’ai toujours essayé de livrer un travail correct mais je sais bien que je ne suis qu’un épicier du dessin. Je me réjouis qu’on veuille bien accorder un certain crédit à quelques-unes de mes compositions. On m’a gratifié de quelques honneurs et de quelques décorations. Si ces choses ne sont pas désagréables, par ailleurs, elles me laissent indifférent ».
Enseignant passionné par l’œuvre de René Pellos, Jean-Paul Tibéri se lance dans l’écriture d’ouvrages consacrés à son ami.
Notons : « Main d’or et Pieds Nickelés » en 1992 aux éditions Jean-Cyrille Godefroy, « Pellos dessinateur sportif » en 1985 chez Michel Fontaine Éditions, « Le Meilleur du Tour de France » chez Vents d’ouest en 2005, « Les Pieds Nickelés et moi » en 2008, puis « Pellos » en 2010 aux éditions Le Taupinambour/Regards…
On lui doit aussi les dossiers de l’intégrale des Pieds Nickelés de Pellos chez Vents d’ouest.
En 1990, il crée l’association « Les Amis de Pellos », tout en exhumant des histoires inédites en albums, aux éditions Regards dont il est aussi l’animateur.
En 1976, le no 31 des Cahiers de la bande dessinée est consacré à René Pellos. À partir de juin 1994, la revue Le Club des Pieds Nickelés — animée par François Coupez — ouvre largement ses pages à Pellos.
Le signataire de ces lignes conserve le souvenir d’un homme au regard franc, sympathique, ne se sentant pas vraiment à l’aise avec le monde de la bande dessinée.
Son œuvre immense mérite mieux que l’édition à seulement quelques centaines d’exemplaires de ses travaux.
Henri FILIPPINI
Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information et mise en pages : Gilles RATIER
Merci à Fred Fabre et Gwenaël Jacquet pour leurs divers coups de main.
Merci pour cette seconde partie, et ces découvertes ! En espérant qu’un grand éditeur s’y coltine. À une époque, il y avait sur le site du CNL une liste d’œuvre patrimoniale dont le CNL encourageait l’édition et se portait favorablement à les soutenir, il me semble que Forton en faisait partie, et pourtant malgré cette manne possible Forton n’a jamais eu d’œuvre complète publiée, Pellos aurait pu (devrait) figurer sur cette liste. Je ne crois pas qu’elle existe encore mais elle a existé, signe qu’une institution aurait pu (pourrait) soutenir l’édition de quelques figures de la bande dessinée française.
Merci pour cet article très sympa sur Pellos. Pour la petite histoire, j’ai édité avec mon association l’ABDL 3 albums de Pellos en grand format. Et Jean-Paul TIBERI un bon paquet d’albums sous le label Regards.