Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Guerres & Dragons T2 : L’Escadrille Lafayette » : la flamme combattive…
1940, l’agresseur allemand, la bataille d’Angleterre, les exploits aériens de la Royal Air Force… et des dragons ! Tel était le pitch – aussi surprenant qu’efficace – de l’uchronie fantastique imaginée par les scénaristes Nicolas Jarry et David Courtois dans le premier opus de « Guerres & Dragons », paru en avril 2024. Pour ce deuxième album , le focus se porte sur Frank Luke : jeune héros ayant vu sa famille tout perdre par la faute d’un dragon. Engagé dans l’escadrille Lafayette, le voici bientôt prendre part aux affrontements de la Première Guerre mondiale, face à de monstrueux diables volants…
Romancier et scénariste adepte de la fantasy, Nicolas Jarry est connu pour avoir notamment créé chez Soleil et Delcourt les séries « Les Brumes d’Asceltis » (2003-2015), « La Rose et la Croix » (2005-2009), « Le Trône d’argile » (2006-2010) et « Nains » (2015-2022). Il a été rejoint par David Courtois – en qualité de script doctor – sur un récent volume des « Guerres d’Arran », ainsi que sur l’adaptation du jeu vidéo « Skull and Bones ». Et puisque l’on parle culture vidéoludique, observons que le studio chypriote Wargaming.net avait fait évoluer, dès 2012, le titre « World of Warplanes » en incluant une faction d’élite dragonnière au milieu des affrontements des années 1930-1950. Avec « Guerres & Dragons », au-delà du titre clin d’œil au mythique premier jeu de rôle sur table (« Donjons & Dragons », lancé par les Américains Gary Gigax et Dave Anerson en 1974), les auteurs font le pari du récit disruptif : à chaque nouvel album, une nouvelle époque abordée et de nouveaux personnages… ces derniers ayant le plus souvent un défi personnel à accomplir ou des appréhensions à surmonter.
Après la Deuxième Guerre mondiale du volume inaugural, aventure trépidante dans laquelle la jeune Alexandra cherchait à fuir les USA avec son frère, tout en liant peu à peu amitié avec un dragon, place est donc laissée à Frank Luke. À 12 ans, en 1908, cet adolescent voit le troupeau de bovins de la ferme familiale être décimé par l’attaque d’un dragon ; son père et le ranch n’y survivront pas… Engagé en 1916 dans l’école de pilotage des cadets d’Arizona, cherchant à prendre sa revanche au mépris de tous les dangers, Frank ne tarde pas à rejoindre l’escadrille Lafayette (ou La Fayette). Rappelons que cette unité de volontaires américains, nommée en l’honneur du héros de la guerre d’Indépendance des États-Unis, avait été constituée la même année, sous commandement français, afin de venir en aide à la France. Comptant à l’origine 42 aviateurs (dont quatre officiers français), l’escadrille fut intégrée en 1917 à l’aviation américaine sous l’appellation de 103e Aero Squadron. Elle fut placée sous le commandement de William Thaw II à l’heure de l’entrée des USA en guerre aux côtés de la Triple-Entente (France, Royaume-Uni et Russie). 68 pilotes, morts pendant le conflit ou des suites de leurs blessures furent inhumés dans la crypte du mémorial qui leur rend hommage, à Marnes-la-Coquette.
Plus réussi est le méchant… En guise de nouvelle némésis, les auteurs introduisent un dragon pro-allemand nommé Schwartzlord. Sachant ménager les effets scénaristiques, mais aussi graphiques, les auteurs, et plus particulièrement les dessinateurs italiens Emanuela Negrin et Lucio Leoni, nous gratifient tout au long des 60 pages de plans spectaculaires : splash pages aériennes, plans dévoilant les tranchées ou les nouveaux décors, détails des véhicules ou des uniformes, rien ne manque à l’immersion dans cette efficace relecture de la Première Guerre mondiale.
N’oublions pas, d’un point de vue plus historique, que la figure du dragon ne resta pas étrangère à 1914-1918 : institués depuis l’Ancien Régime, les régiments de dragons (initialement, des arquebusiers se déplaçant à cheval, mais combattant à pied) se transformèrent en unités d’engins motorisés et blindés lors des conflits du XXe siècle. Certains constructeurs d’avions militaires choisirent le terme de « dragon » pour baptiser leurs appareils : citons le De Havilland DH.89 A Dragon Rapide, inauguré en 1934 en tant qu’avion de transport civil, et le bombardier Douglas B-23 Dragon en 1940. Enfin et surtout, ce fut la propagande qui réemploya la monstruosité du dragon pour signifier la nature sauvage et maléfique de l’adversaire ; un antagoniste caricatural ne demandant qu’à être terrassé par le héros chevaleresque chrétien, synonyme du camp du bien. « Sus au montre ! », comme le clamait ainsi Le Petit Journal en une du 20 septembre 1914. Cette iconographie fut reprise par le régime nazi dans les années 1940, après la rupture du pacte germano-soviétique, afin de vilipender un communisme transformé en dragon rouge. Une image qui hantera encore l’Amérique du Maccarthysme…
D’ores et déjà planifié pour le 30 octobre 2024, le troisième volume de « Guerres & Dragons » (mêmes scénaristes ; dessin de Paolo Antiga) nous fera à nouveau changer d’air : cap sur l’Angola de 1975, avec une adolescente plongée dans une guerre dont elle ignore tous les enjeux… et une créature volante légendaire – « Le Kongamato », titre de l’album – devenue le seul espoir de tous les enfants. Un future aventure épique, concoctée bien évidemment tout feu tout flammes !
Philippe TOMBLAINE
« Guerres & Dragons T2 : L’Escadrille Lafayette » par Emanuela Negrin, Lucio Leoni, Nicolas Jarry et David Courtois
Éditions Soleil (15,95 €) – EAN : 978-2-302094611
Parution 21 août 2024