Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Les angoisses enfantines traitées avec sérieux et poésie dans « Le Chemin dans les étoiles »…
Ce n’est pas facile de gérer ses émotions quand on est une enfant hypersensible. C’est le cas de la timide Gaëlle, surtout en ce jour de rentrée où elle découvre une nouvelle école et des camarades de classes inconnus. Quand la tension est trop forte : elle se réfugie dans son monde intérieur. Comment la soigner de ce trouble dissociatif et lui apprendre à mieux affronter la réalité ? Vous le saurez en lisant « Le Chemin dans les étoiles », un conte fantastique qui traite avec douceur d’un sujet sérieux : la santé mentale des enfants.
Gaëlle est tendue. On le serait à moins : c’est la rentrée pour elle, dans une école inconnue, dans une classe où tous ses futurs camarades se connaissent déjà . Sa mère est elle-même nerveuse de la laisser seule affronter ce monde potentiellement dangereux.
Pourtant, la jeune fille entre sans hésitation, ou presque, pour se présenter aux autres élèves. Elle commence même à sympathiser avec sa voisine de table. Tout se gâte à la cantine : elle se retrouve seule sous le regard inquisiteurs des autres. Elle a une crise de panique, se réfugie dans les toilettes et, là , très vite, elle rentre dans un monde intérieur rassurant.
Gaëlle dispose d’une forte et belle imagination qui lui permet de se créer un univers rassurant autour d’une calme clairière. Elle y discute calmement avec trois de ses émotions qui ont pris l’apparence d’animaux ronds et sympathiques : un caméléon à chapeau haut de forme pour sa peur, une sorte de raton-laveur à coiffe médiévale pour sa féconde imagination et une grosse boule de poils à bandana pour sa timidité. Elle se sent en sécurité et ne veut pas retourner dans le monde réel. C’est à ce moment qu’apparait Milos, le médecin psychologue qui la connait bien et qu’elle apprécie.
Milos entame un dialogue avec sa jeune patiente ; ce n’est pas facile de la faire revenir auprès de parents aimants auxquels elle tient pourtant. Patiemment, le praticien lui fait abandonner, une à une, les émotions trop fortes qui l’handicapaient dans sa vie. Ils passent par différents endroits, plus ou moins accueillants, à la recherche d’une porte pour revenir dans le monde réel. De la rencontre avec d’autres personnages et de leurs échanges féconds, Milos finit par s’interroger sur la part d’enfance qu’il conserve en lui et que tout adulte doit nécessairement entretenir pour accéder à une certaine forme de bonheur.
Nous devons ce conte fantastique original sur le sujet délicat de la santé mentale de l’enfant à un duo d’autrices italiennes. Écrivaine et scénariste, Valentina Venegoni travaille comme scénariste pour Disney-Panini et diverses maisons d’édition jeunesse. Elle a écrit que cette bande dessinée « était née d’une blessure, vivante et palpitante. Combien de fois enfants, avons-nous entendu des phrases comme : « arrête de rêvasser et grandi » ou encore »Je n’ai plus le temps d’écouter tes histoires devient adulte. » C’est un rite de passage, une épreuve. Aujourd’hui, ce rite s’apparenterait au fait de mettre entre parenthèse notre imagination, de la brider, voire d’arrêter d’imaginer. Facile non ? Avec « Le Chemin dans les étoiles », je tente d’apporter une réponse à cette question à travers la voix de Gaëlle : une petite fille qui souffre d’un trouble dissociatif. Gaëlle est brisée, divisée et fragile, mais c’est aussi une héroïne courageuse, qui ne craint pas de chercher des réponses et de comprendre que finalement, on grandit vraiment quand on apprend à s’accepter et à s’aimer pleinement. »
La dessinatrice Paola Amormino a su créer des univers doux et rassurants, avec chacun une dominante de couleur différente, pour les mondes intérieurs de la sensible Gaëlle. Avec son trait fin et délié, elle excelle à détailler chaque arrière-plan ainsi que dans la transcription graphique métaphorique des émotions de son héroïne : des animaux plus ronds que dans la réalité, tels que peut se l’imaginer une fillette de dix ans.
Bande dessinée originale par son sujet délicat (les troubles dissociatifs), « Le Chemin dans les étoiles » offre un récit initiatique tendre et subtil porté par une grande richesse graphique et des couleurs chatoyantes. Le scénario intelligent progresse au rythme d’un dialogue entre un adulte et une jeune fille : dialogue jamais mièvre ou gratuit, au contraire, Gaëlle et Milos sortent enrichis de cette aventure qui se conclue sur l’importance de garder une âme d’enfant pour accéder au bonheur une fois adulte. Une bande dessinée jeunesse qui sort du lot commun… passionnante et enrichissante.
Laurent LESSOUS (l@bd)Â
« Le Chemin dans les étoiles » par Paola Amormino et Valentina Venegoni
Éditions Jungle (15,00 €) – EAN :  978-2-822-24146-5
Parution 23 mai 2024