Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Bertille & Lassiter » : la ronde des rencontres improbables ne s’arrête jamais !
Troisième et peut-être dernier chapitre de cette série pour le moins originale et construite de main de maître par Éric Stalner. Les rencontres improbables se multiplient, au fil d’un récit où se mêlent polar et fantastique, sans oublier quelques séquences d’humour que n’aurait pas reniées Audiard. Une trilogie (1) — aux protagonistes particuliers à plus d’un titre — de 300 pages, signée par un des auteurs de tout premier plan, parmi les plus prolifiques de ces trois dernières décennies.
À la fin des années 1920, après une rencontre hasardeuse, Bertille de Chavronnes des Argons — une jeune fille frivole issue de la bourgeoisie — et le bouillant commissaire Louis Bertille sont les témoins d’un étrange phénomène : une mystérieuse boule rouge atterrissant dans un jardin de la banlieue parisienne. Lorsque l’objet se met à grandir jusqu’à menacer la capitale, l’inquiétude s’empare du gouvernement, alors que les deux témoins multiplient les joutes verbales.
Le second épisode se déroulait aux États-Unis, au Nebraska, 40 ans plus tard. Jonathan Lassiter, un modeste employé d’une compagnie d’assurances chassé de son travail, abandonné par sa compagne et victime d’un pickpocket, décide de noyer sa malchance dans un bar. Il y rencontre l’élégant Edward : un riche homme d’affaires solitaire qui l’invite à  le suivre — à bord de sa Cadillac —, jusqu’à son imposante propriété, afin de fêter son anniversaire. C’est le début d’une folle équipée nocturne qui durera 13 heures et 17 minutes et fera de notre héros un homme traqué.
Quant au présent récit, il commence dans un train à la Noël 1966 : nous retrouvons Bertille et Bertille fraîchement mariés, de retour de voyage de noces après 40 ans de vie commune. Jonathan Lassiter, contraint de fuir le Nebraska,débarque dans leur compartiment et est aussitôt accaparé par une Bertille toujours intarissable. De son côté, l’ancien commissaire divisionnaire s’interroge sur le comportement de leur étrange compagnon de voyage. Et c’est dans l’imposante demeure héritée de ses ancêtres par Bertille — située sur une île au large de Saint-Quay-Portrieux — qu’échoue Jonathan, bien loin de son Nebraska natal. Traqué par de mystérieux malfrats, surveillé par le commissaire Trouadec, le vieux couple retranché sur l’île est prêt à toutes les folies pour protéger leur nouvel ami. D’autant plus que la boule rouge est de retour. Protectrice ou maléfique ?
Même si la lecture des deux albums précédents n’est pas indispensable, il est plus agréable pour le lecteur d’avoir suivi les personnages dans leurs premières aventures. Sans chercher à tout expliquer, Éric Stalner construit une histoire cohérente, aux multiples pistes. Bien que parfois un peu trop dense, le scénario est écrit d’une plume alerte et inspirée. L’auteur accompagne ses lecteurs dans les pas de personnages truculents et attachants, sans pour autant négliger le fantastique et l’action. On découvre avec gourmandise les plans farfelus de l’excentrique Bertille, les emportements du fougueux commissaire Bertille, sans oublier les secrets que dissimule l’étrange Jonathan. Le choix d’une couleur unique — le rouge — pour la boule, côtoyant une palette de gris, ajoute une note insolite à cette histoire au ton original. Éric Stalner, auteur complet, prouve une fois encore qu’il est à l’aise dans tous les genres.
Éric Simon, né le 11 mars 1959 à Paris, commence sa carrière dans la bande dessinée avec son frère Jean-Marc — sous le pseudonyme Stalner —, après avoir publié quelques albums sous son propre patronyme. Le duo enchaîne avec les séries « Les Poux », « Le Boche », « Fabien M », « Malheig », « Le Fer et le feu »… Éric Stalner poursuit sa carrière en solitaire avec « La Croix de Cazenac », « Le Roman de Malemort », « Voyageur », « Flor de Luna », « Ils étaient dix », « La Liste 66 », « La Zone », « Saint Barthélemy »… et de nombreux one-shots. Malgré cette importante production —sa bibliographie compte près de 100 albums —, son dessin soigné est riche en petits détails comme les lecteurs les aiment.
(1) Voir : « Bertille & Bertille »/« Le Bossu de Montfaucon » : un auteur, deux facettes ! et « 13 h 17 dans la vie de Jonathan Lassiter » : une rencontre improbable !.
« Bertille & Bertille T3 : Bertille & Lassiter » par Éric Stalner
Éditions Grand Angle (19,90 €) — ISBN : 979-1-0411-0389-8