Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Comment Fleur devient une adulte équilibrée, en écoutant sa petite voix intérieure…
Nous avons fait connaissance de Fleur, une jeune adulte à la vie normale, trop normale, banale même, dans le premier volume de « (Dé)rangée ». Tout change quand sa petite voix intérieure se matérialise étrangement devant elle. Elle est forcée de l’écouter pour se prendre en main, retrouver l’estime de soi et, enfin approcher d’un certain bonheur. Mais pourquoi donc Line, sa voix intérieure, l’accompagne-t-elle encore ? En quoi doit-elle toujours aider Fleur ? Celle-ci est-elle encore dérangée ? Pour le savoir, plongez- vous dans le deuxième volume du diptyque « (Dé)rangée » : une bande dessinée originale, finement construite et dessinée.
Dans le premier volume de « (Dé)rangée », nous avons fait connaissance de Fleur ; une jeune adulte ordinaire qui se lance dans la vie active. Elle quitte le cocon familial, dispose d’un appartement et d’un travail de bureau. Elle a des amies, des camarades et vient de se séparer d’un jeune homme qui semble pourtant toujours tenir à elle. Elle a tout pour être heureuse et se dispense d’écouter sa petite voix intérieure qui lui suggère régulièrement de se coucher plus tôt, de manger plus sainement ou de faire du sport. Pourtant, on sent que la jeune femme n’est pas heureuse : elle se lève sans envie, subit ses collègues au boulot et s’énerve pour un rien contre Flocon ; son chat qui dévaste ses plantes d’intérieur.
Tout change pour elle quand elle est mise face à ses contradictions par son inconscient ; cette petite voix intérieure qu’elle n’écoutait pas et qui soudainement se matérialise dans son studio sous la forme d’une demoiselle prénommée Line, aux cheveux bleu-vert, voletant dans les airs. Fleur chasse énergiquement cette apparition inattendue et refuse de l’écouter avant de se réveiller un matin, désemparée par une vie dont le cours semble lui échapper. Elle fait alors appel à Line qui lui explique sa mission : « Le sujet ne doit pas connaitre la teneur des objectifs, il doit les comprendre par lui-même, avoir son propre déclic. Il suffira que tu joues juste la bonne élève tant que je suis là et quand je repartirais, tu ne m’écouteras plus de nouveau. »
Dans le premier volume de ses aventures Fleur a compris l’origine de son mal-être : elle a fait des choix forts ; rompu avec certains faux-amis et quitté un travail peu épanouissant. Tout semble aller pour le mieux pour elle au début du second volume de « (Dé)rangée», et pourtant Line est toujours présente. Si elle est là, c’est que sa mission n’est pas terminée. Fleur doit encore prendre conscience de certains manques pour vraiment devenir elle-même. Ce patient travail sur soi porte ses fruits : que ce soit pour passer le pas et se lancer dans un projet d’écriture, pour quitter une addiction aux réseaux sociaux, écouter avec attention une amie en pleine crise existentielle ou imposer son point de vue face à des parents bienveillants, mais un peu intrusifs. En 116 pages qui évitent tout clichés sur le développement personnel, Fleur fait sienne l’injonction nietzschéenne: « Deviens qui tu es ». En sortant d’elle-même avec l’aide de Line, elle affirme ainsi un élan vitaliste et créatif.
Nous avons été enchanté par la lecture de ce diptyque : charmante comédie contemporaine menée de main de maître-scénariste par Manon Henaux qui s’occupe ici aussi de la mise en couleurs.
Pour son premier scénario, la coloriste réussit à construire un récit léger, mais jamais manichéen, autour de l’affirmation d’une jeune femme qui écoute enfin son inconscient pour s’affirmer comme adulte ; autant dans ses choix professionnels que pour ses amours ou que pour se libérer d’amitiés toxiques, voire pour construire une relation apaisée avec ses parents.
Vous le constatez, la série développe de belles et riches thématiques, enrichies dans le second volume par un questionnement sur l’addiction aux réseaux sociaux et l’importance d’entretenir des relations amicales sincères par une écoute renouvelée et toujours active de l’autre.
Le dessin stylisé de Greg Blondin colle à l’esprit de ce récit tendre et juste. Comme pour le manga, il exagère certaines expressions ou situations – notamment avec le chat Flocon à l’origine de petits gags en arrière-plan qui allègent certaines séquences -, mais les décors réalistes d’une ville française et le jeu inventif de la mise en cases des planches rapprochent son graphisme de la tradition franco-belge.
À noter que les auteurs qui se connaissent bien, pour avoir travaillé plusieurs fois ensemble sur « Hagard, enquêteur de l’histoire » ou « Je dessine mes premiers personnages BD » par exemples, ont accompagné la sortie du diptyque de manière originale. Pendant un an, ils ont voyagé dans leur van pour aller à le rencontre de leurs lecteurs. Fin de ce tour de France original en juin de cette année, lors du festival d’Amiens.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« (Dé)rangée » T2 par Manon Henaux et Greg Blondin
Éditions Bamboo (17,90 €) – EAN : 979-1-0411-0327-0
Parution 2 mai 2024