« Malleus Maleficarum » : imprimerie et sorcellerie…

Un petit village — non loin de la frontière suisse — sert de cadre à ce long récit où la sorcellerie est omniprésente, au sein d’une population paysanne inculte, à la merci de la puissance des évêques. À travers deux adolescents que le destin sépare, Virginie Greiner et Annabel évoquent la chasse aux sorcières —incarnations du diable —, qui faisait rage dans les campagnes à la fin du XV^e siècle. L’occasion de retrouver deux autrices talentueuses, maîtrisant avec panache une histoire où se mêlent fiction et réalité.

Vernoux, printemps 1470. Les loups rôdent près du village, proche de la frontière suisse, alors que la famine rend encore plus difficile le quotidien d’une population paysanne ignorante. Fils d’un paysan violent, borné et alcoolique, Étienne Trollet étudie la lecture auprès du curé du village, lequel l’encourage à concrétiser ses rêves d’écriture. Sa confidente, la jolie rousse Reine Percheval, apprend les secrets des plantes, que lui transmet sa grand-mère — la guérisseuse —, appréciée pour ses bienfaits par les villageois. Une ultime dispute avec son père, qui accuse la grand-mère de Reine d’avoir tué sa femme, conduit Étienne à quitter Vernoux pour rejoindre Genève, non sans avoir concrétisé physiquement son amour pour la jeune fille.

Engagé dans une imprimerie, le jeune homme se fait remarquer par le prince-évêque, qui lui demande de réaliser des ouvrages illustrés permettant aux incrédules d’identifier les sorcières. Le temps passe, le célibat de Reine intrigue certains habitants de Vernoux, d’autant plus qu’elle est toujours poursuivie par la haine du père Trollet. La jeune guérisseuse attend le retour d’Étienne, son unique amour, qui — devenu le grand « imprimateur » — participe par ses ouvrages au combat de l’Église contre les armées de Satan.

C’est en farouche adversaire des forces obscures qu’il revient à l’été 1495 à Vernoux, comme expert au cours du procès où Reine doit être jugée pour crimes de sorcellerie et brûlée vive sur le bûcher. Conscient de ses erreurs, Étienne est prêt à tout pour sauver son amour de jeunesse…

Virginie Greiner.

Ce long récit (144 pages), documenté, témoigne de l’importance de l’essor de l’imprimerie, dont les premiers ouvrages religieux ont contribué à répandre la peur des forces obscures au sein de la population naïve des campagnes. La longue séquence du procès de Reine est particulièrement instructive.

Sans ennuyer le lecteur, le scénario de Virginie Greiner évoque le rôle peu connu joué — dans la chasse aux sorcières — par l’expansion de l’imprimerie.

Collaboratrice de la revue BoDoï, Virginie Greiner, née le 3 septembre 1969 à Saint-Germain-en-Laye, apprend le métier de scénariste auprès de Frank Giroud et d’Éric Corbeyran. Coscénariste de Frank Giroud,elle participe aux séries concept « Destins » et « Secrets ». On lui doit une quinzaine d’albums, dont « Avant l’heure du tigre », « Tamara de Lempicka », « Mata Hari »… chez Glénat, mais aussi « Sorcières » chez Dupuis et — dans la série « Les Reines de sang » chez Delcourt — « Frédégonde » et « Roxelane ».

Annabel, de son vrai nom Annabel Blusseau, est née le 8 septembre 1976 à Rouen.

Après avoir travaillé dans la publicité, elle signe « Willow Place » avec Virginie Greiner aux éditions Clair de lune.

Elle est la dessinatrice de plusieurs ouvrages publiés aux éditions Glénat, à partir de 2009 : « Magus », « La Javanaise », « Tuer César » (dans la série « Roma »), « Olwen, fille d’Arthur » et « Isabelle Eberhardt, la vagabonde des sables », une nouvelle collaboration avec Virginie Greiner.

C’est l’une des rares dessinatrices de sa génération à avoir opté pour le réalisme : un genre difficile et exigeant qu’elle maîtrise parfaitement.

Henri FILIPPINI

« L’Imprimerie du diable » par Annabel et Virginie Greiner

Éditions Les Arènes BD (23 €) — ISBN : 979-1-0375-1166-9

Parution 18 avril 2024

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