Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Revolvers et charbon : un mélange explosif  !
Newcastle (1), une petite ville minière du Wyoming, à la fin du XIXe siècle. Jim y est shérif, attentif à faire respecter la loi de façon juste. Un jour, un corps est retrouvé — gravement mutilé — dans la mine : ce qui déclenche la colère des mineurs, la plupart tchèques. Le riche propriétaire de la mine exige du shérif une enquête rapide et surtout des résultats à tout prix, permettant de mater les revendications qui commençaient à monter et s’en trouvent exacerbées. Mais loin de calmer les choses, l’enquête entraîne un déchaînement de violence…
Entre les deux factions, Dorothy — la gouvernante s’occupant des enfants du propriétaire — n’est pas si loin des préoccupations de la mine qu’on pourrait le penser, tout en étant intéressée par l’approche timide de Jim… Sous ses dehors nécessairement autoritaires et sévères — il s’agit de faire régler l’ordre —, le shérif est un honnête homme, fidèle à son devoir et à sa charge.
L’homme de main du propriétaire, Cornwall — forte tête et fort en gueule face au shérif —, appelle celui-ci sur les lieux du drame. C’est le contremaître qu’on a tué, et le fait que celui-ci ait joué un rôle d’informateur secret auprès du propriétaire n’est certainement pas un hasard.
Ce fameux propriétaire est le bien nommé Horace Frick, âpre au gain bien sûr, peu courageux, et sûr du pouvoir que lui donne sa position financière. Horace Frick est naturellement décidé à  étouffer, dans l’œuf, à la fois la colère des mineurs quant aux dangers de la mine et la rébellion légale que serait la création d’un syndicat. Il demande au shérif d’arrêter les principaux meneurs, pour les faire parler et pour avoir un coupable, quel qu’il soit.
Devant cette injustice, l’escalade est inévitable : les mineurs s’organisent pour lutter, puis mettent le feu à la ville. Jim ne peut que se mettre en travers du combat social, quoi qu’il pense des méthodes employées. S’agit-il — pour lui, Dorothy et les autres — d’une tragédie ? On le pressent…
Des questions sociales et politiques graves sont abordées dans ce western tardif, au trait réaliste et aux belles couleurs expressives, dont le sujet et la période nous changent un peu des autres récits du genre. De facture classique, l’album obéit néanmoins aux canons bien éprouvés du western — y compris avec son lot de violence —, ce qui ne peut que réjouir les amateurs.
Mais ses particularités le rendent attractif : les couleurs changeantes selon les scènes (notamment le monde de la mine, la nuit ou les incendies qui sont très bien rendus), un propos social, voire politique, et une période tardive —l’arrivée de la voiture et du téléphone — qui annonce le XXe siècle. Les auteurs ont campé des personnages hauts en couleur et irrécupérables pour les salauds, plus réservés et nuancés pour les justes, et ont mené un propos de lutte de classe, y compris jusqu’à une certaine caricature. On peut comprendre le nom du propriétaire — rapace et indigne — Horace Frick comme « vorace fric »…
L’album mêle habilement l’intrigue du drame qui se noue (le meurtre, la mine…) et les aspirations, les espoirs sans illusion de Jim et de Dorothy. En cela, avec des silences et des arrêts sur image, il nous fait sentir les personnages au plus près de leur être. Mr Fab (pseudonyme de Fabien Esnard-Lascombe) avait déjà  pleinement réussi ses albums récents : tels que les deux tomes de la série « Rendez-vous avec X » auxquels il a participé et ceux de « La Tour ». Son métier et son talent servent cet album long de 70 pages, où l’action ne faiblit pas. Et l’intérêt du lecteur non plus : l’album se lit d’une traite. Du beau travail, garanti sans coup de grisou.
(1) À ne pas confondre avec son homonyme en Angleterre, également minière.
« Colt & Coal » par Mr Fab et Vincent Brugeas
Éditions Comix Buro/Glénat (15,95 €) — ISBN : 978-2-344-05963-0