« Vivre libre ou mourir » : une décennie de scène punk et alternative en France…

Trois ans après « Underground » — un ensemble de portraits de musiciens et musiciennes avant-gardistes, hors-norme et révolutionnaires —, le scénariste Arnaud Le Gouëfflec et le dessinateur Nicolas Moog se retrouvent pour une enquête musicale. Pour ce nouvel album, toujours publié par Glénat (dans la collection 1000 Feuilles), ils ont rencontré un grand nombre de témoins des mouvements punk et alternatif pour un documentaire de 180 pages historiquement riches.

Les auteurs reviennent à leurs souvenirs d’adolescence pour lancer leur ouvrage, avec comme point commun le groupe Bérurier noir. Ce sont deux collégiens dans la cour s’échangeant la cassette de « Concerto pour détraqués » qui intriguent le jeune Arnaud et c’est un ami qui fait écouter à Nicolas Mogg « Sur les toits » sur son walkman. Pour tous deux, cette musique est un vrai choc culturel. Il faut se rappeler qu’il n’y a — à cette époque — que trois chaînes de télévision et des radios à la programmation très sage.

À la fin des années 1970, la vague punk arrive en France. Le mouvement punk est une urgence : celle — réactive — d’une jeunesse ne se reconnaissant plus dans les modèles de leurs aînés, lesquels commencent à se fissurer face aux crises politiques et économiques. Il y a une urgence à trouver une place pour exprimer son désarroi et sa rage face aux injustices sociales sans cesse grandissantes.

Éric Debris de Métal urbain — un des premiers groupes à être qualifiés de punk par la presse de l’époque — explique : « On a pris une boîte à rythmes et on a mis des guitares autour. On a fait la musique qu’on voulait entendre, parce que personne ne la faisait. »

C’est l’esprit du DIY, acronyme de Do It Yourself (« Fais-le toi-même »), qui domine ce mouvement : tout est à construire. Les groupes s’enregistrent comme ils peuvent sur des magnétophones ou en studio quand une connaissance peut en prêter un. L’actualité de ces scènes ne passe pas par les médias traditionnels, la communication se fera par le biais de la presse fanzine qui émerge et que les rédacteurs, les groupes et fans s’échangent. La distribution s’organise par la volonté de quelques-uns, gérant la structure en cogestion avec les groupes distribués. Les tournées s’organisent entre groupes dans les salles de chacun, les compilations offrent un panorama de la scène existante.

La particularité de cette scène viscéralement liée au contexte politique des années 1980 fut sa grande réactivité aux événements sociétaux de la période. Mitterrand arrive au pouvoir en 1981, apportant un souffle de liberté à une société gouvernée par la droite depuis la Libération. Malheureusement, les idées libérales sont acceptées par le gouvernement comme solutions à la crise économique : les premières alliances entre la droite traditionnelle et le Front national de Jean-Marie Le Pen se créent. La riposte culturelle à cette droitisation s’engage.

Mais faire feu de tout bois épuise, tout comme la débrouillardise pour faire vivre les groupes et les structures les accompagnant ; surtout quand certains groupes signent avec de grands labels et que les rapports avec les autorités se font de plus en plus conflictuels et violents. La fin de l’aventure se fera avec les concerts d’adieu à l’Olympia de Bérurier noir : groupe emblématique de ces années-là. Symboliquement, le Mur de Berlin tombait au même moment, le 10 novembre 1989.

Pour raconter cette histoire, Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog (d’ailleurs tous deux musiciens) proposent aux protagonistes de revenir sur cette époque. Loran, Laul, Masto (Bérurier noir), Karim (Ludwig Von 88), Didier Wampas (Les Wampas), Spi (OTH), Géant vert (Parabellum), François Hadji-Lazaro (Les Garçons bouchers, Pigalle), Marsu, Jean-Yves Prieur, K. K. (Bondage Records), Louis Thevenon (New Rose Distribution) se racontent, analysent leurs choix, leurs parcours. Nous croisons aussi Virginie Despentes, David Dufresne ou PariA qui ont vu leur vie prendre un virage complet en croisant ces groupes où la liberté de créer et d’être soi était une évidence.

Le dessin de Nicolas Moog en nuances de noir et blanc rend parfaitement compte de la densité et de la force des engagements transmis par Arnaud Le Gouëfflec, qui arrive en plus à glisser quelques moments poétiques dans son travail. La lecture de ce chapitre de l’histoire musicale hexagonale peut nous amener à réfléchir aux tensions contemporaines où la réaction politique aux oppositions citoyennes est encore plus violente. « Vivre libre ou mourir » (qui bénéficie d’une préface de Loran) nous interroge aussi sur quelles réponses culturelles motivantes sont actuellement produites ?

Brigh BARBER

P.-S. Toute cette scène musicale continue à vivre par le biais des archives.zonemondiale.fr, site relayant la production musicale, éditoriale autour des groupes et artistes de cette décennie.

« Vivre libre ou mourir : punk et rock alternatif en France, 1981–1989 » par Nicolas Moog et Arnaud Le Gouëfflec 

Éditions Glénat (22,50 €) — EAN : 9-782-3440-5563-2

Parution 13 mars 2024

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