Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...La première bande dessinée de Miyazaki enfin disponible…
Hayao Miyazaki est le plus connu des réalisateurs de longs métrages d’animation japonais. « Le Garçon et le héron », son dernier film, vient de sortir sur les écrans français, en même temps que « Le Voyage de Shuna » : sa première bande dessinée, parue dès 1983 au Japon. Un récit initiatique qui porte en lui les thématiques développées plus tard par la maître des studios Ghibli. L’occasion, pour nous, d’évoquer les dernières bandes dessinées pour la jeunesse des éditions Sarbacane…
Un petit royaume montagneux se meurt : la famine y sévit depuis de nombreuses années. La terre y est devenue pratiquement stérile : les céréales refusent d’y pousser. Un voyageur exténué est recueilli et soigné. Il confie à ses hôtes qu’une céréale miraculeuse pousse dans un pays lointain à l’Ouest, en faisant onduler les plaines en de longues vagues fertiles. C’est un espoir qui enflamme l’esprit du jeune prince Shuna. Il doit partir chercher cette graine dorée miraculeuse pour sauver son peuple, malgré les dangers évoqués par le visiteur : cette terre serait peuplé d’esprits hostiles à l’homme et personne n’en serait jamais revenu.
Monté sur son fidèle yakkuru, un équidé mélange de bouquetin et de cheval, Shuna part vers cette terre de cocagne bien conscient des dangers qui vont très vite le menacer. Il traverse ainsi un désert à la terre corrompue : « Le sol était criblé, à perte de vue de nappes d’eau teintées de rouille. Le vent charriait d’inquiétants effluves pendant des jours et des jours, Shuna et le yakkuru marchèrent vers l’Ouest sans croiser un seul être vivant. » ; mais quand il croise enfin une civilisation humaine, les dangers n’en sont que plus grands. Il est bien vite menacé par des marchands cupides et doit affronter des trafiquants d’esclaves. Toujours bienveillant, au risque de sa propre vie, il délivre deux jeunes filles de l’esclavage. Il leur donne même sa monture pour qu’elle puisse s’enfuir. Il part seul à la recherche des graines dorées en promettant à Théa et à sa sœur de venir les voir, une fois sa mission accomplie.
Après, ce n’est que le deuxième album publié en France du cultissime réalisateur nippon et le premier qu’il a écrit et dessiné. Il faut remonter à 1979 et à l’échec public de son premier long métrage (« Le Château de Cagliostro ») pour en comprendre la genèse. Hayao Miyazaki se trouve alors fort désemparé, mais pas abattu. Il entame en même temps ce qui sera son deuxième film et son premier grand succès (« Nausicaä de la Vallée du vent ») et ce récit mis en couleur à l’aquarelle. « Le Voyage de Shuna » sort en 1983 au Japon et seulement 40 ans plus tard en France de manière concomitante avec sa dernière réalisation : « Le Garçon et le héron ».
« Le Voyage de Shuna » est davantage un conte illustré qu’un véritable manga, même s’il dispose du sens de lecture japonais : de droite à gauche.
Avec une ou deux images par page, peu de dialogues et beaucoup de récitatifs, ce récit initiatique s’inspire d’un conte folklorique tibétain : « Le Prince qui fut changé en chien ».
Ce conte fantastique est le mythe de la première rencontre du Tibet avec l’orge : céréale de base du pays encore aujourd’hui. Avec cette adaptation très libre, Miyazaki développe des thèmes qui lui sont chers et qu’on retrouvera par la suite dans ses films : le rapport conflictuel des hommes à une nature qu’ils endommagent, les luttes sociales des faibles contre les puissants au sein de chaque société, le besoin de beauté et de bonté de tout ceux qui cherchent une vie meilleure…
C’est un grand plaisir de découvrir, 40 ans après, sa première publication au Japon : cette fable aux aquarelles poétiques d’une profonde humanité. Comme dans ses films, l’auteur s’attaque à des thématiques complexes avec un langage simple, mais d’une riche ambiguïté.
Les éditions Sarbacane offre un joli écrin, avec une couverture cartonnée et une postface éclairante d’Alex Dudok de Wit (journaliste et traducteur, spécialisé dans l’animation), à ce livre qui est leur plus gros tirage en 20 ans d’existence. Elles proposent tout au long de l’année des bandes dessinées jeunesse de grande qualité. Nous vous en avons sélectionné deux dans les parutions de cet automne.
« Mumbo Jumbo et les champignons-mystères » : une bande dessinée destinée aux primo-lecteurs de l’artiste danois Jakob Martin Strid. L’histoire de l’hippopotame Mumbo Jumbo qui grandit subitement après avoir mangé des champignons-mystères.  Il s’effondre en larmes : il est devenu si gros, que sa maman ne peut même plus lui faire de câlin et il a peur de perdre ses amis. Mais ceux-ci sont solidaires et décident de l’amener en Sibérie, où vit Baba Yaga : la seule sorcière au monde capable de lui redonner sa taille… Une belle histoire pleine d’humour autour des thématiques de l’amitié, de la solidarité et du partage.
« Les Petites reines » est une œuvre qui s’adresse à un lectorat plus âgé : plutôt féminin du collège et du lycée. Magali Le Huche a adapté le best-seller de Clémentine Beauvais. Dans cette comédie sur-vitaminée, trois jeunes filles prennent sur elles un harcèlement sexiste dans leur établissement scolaire : elles ont gagné le « concours de boudins » de leur collège de Bourg-en-Bresse. Loin d’être abattues, elles décident de monter à Paris en vélo, comme vendeuses ambulantes de boudin. Leur périple attire l’attention des média et elles deviennent célèbres. De quoi manger, de plus belle, les fromages des régions de France ! Une bande dessinée contemporaine, intelligemment féministe, qui met à distance le harcèlement par les réseaux sociaux par un humour vivifiant.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Le Voyage de Shuna » par Hayao Miyazaki
Éditions Sarbacane (25,00 €) – EAN : 979-10-408-0444-4
Parution 1 novembre 2023
« Les Petites reines » par Magali Le Huche, d’après le roman de Clémentine Beauvais
Éditions Sarbacane (25,00 €) – EAN : 978-2-377-31815-5
Parution 4 octobre 2023
« Mumbo Jumbo et les champignons-mystères » par Jakob Martin Strid
Éditions Sarbacane (18,90 €) – EAN : 979-10-4080-480-2
Parution 4 octobre 2023