Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Peau d’Âne revient dans une magnifique bande dessinée…
Tout le monde se souvient de « Peau d’Âne » (le conte de Perrault) et de son inventive adaptation au cinéma par Jacques Demy, avec Catherine Deneuve dans le rôle-titre en 1970. Cécile Chicault nous en donne une version d’une grande poésie dans une bande dessinée douce, mais qui n’élude pas la cruauté et la perversité du conte d’origine.
Tout est calme, luxe et volupté dans un paisible royaume médiéval. Dans son grand lit, dominé par un bas relief sculpté d’un âne en majesté assis sur un animal chimérique, dorment le roi et la reine.
Le texte du conte d’origine nous apprend que le souverain est : « Le plus grand roi qui fût sur la Terre, aimable en paix, terrible en guerre, seul enfin comparable à soi », quant à la reine : « Son aimable moitié, sa compagne fidèle, était si charmante et si belle, avait l’esprit si commode et si doux… qu’il était encore avec elle, moins heureux roi qu’heureux époux. »
Leur quiétude nocturne est seulement troublée par les pleurs de leur petite fille que sa mère rendort vite d’une tendre mélopée.
La magnificence du palais et même la richesse du royaume s’explique en grande partie par un locataire extraordinaire des écuries royales : un âne qui « Tel et si net le forma la nature, qu’il ne faisait jamais d’ordure, mais bien beaux écus au soleil, et louis de valeur première, qu’on allait recueillir sur la blonde litière, tous les matins à son réveil. » La petite princesse grandit ainsi entourée de l’amour de ses parents jusqu’au sombre jour où sa mère tombe malade. Le roi est désespéré et la veille jusqu’à son dernier soupir. Il accepte son ultime requête ; de ne se remarier que s’il trouve une femme aussi belle et aussi sage qu’elle. Le roi jure tout ce que sa femme veut et se retire du monde le temps d’un long deuil.
Quand il se met en quête d’une nouvelle épouse pour enfin avoir un héritier mâle, le roi se rend compte qu’aucune prétendante n’égale sa défunte compagne. Mais un jour, du haut de son château, il remarque une jeune fille plus belle qu’elle et qui possède même certains appas que la défunte n’avait pas. Il tombe ainsi fou amoureux de sa propre fille et décide de l’épouser. La jeune princesse pour refuser une union incestueuse prend conseil auprès de sa marraine la fée. Celle-ci lui conseille de demander des cadeaux inconcevables en guise de dot : des robes couleur de temps puis couleur de lune et enfin couleur de soleil. Le roi parvient à lui offrir, c’est pourquoi sa fille lui demande de sacrifier son âne, son plus précieux trésor. Comme il s’exécute encore une fois, la princesse prend la fuite revêtue de la peau de l’âne, emportant dans une grande cassette ses diamants, ses rubis et ses robes irréalisables. Elle devient une triste souillon dans le village d’un royaume voisin jusqu’à ce qu’un prince passe devant sa misérable masure…
Nous devons la version la plus célèbre de ce conte populaire à Charles Perrault qui le fait paraitre en 1694. Il est par la suite rattaché aux « Contes de ma mère l’Oye » et connait un grand succès qui ne s’est jamais démenti, jusqu’à la version cinématographique de Jacques Demy avec Catherine Deneuve.
Cécile Chicault l’adapte aujourd’hui en demeurant très fidèle au texte d’origine. « La Princesse Peau d’Âne » reprend ainsi les vers de Perrault jusqu’à sa conclusion d’une grande modernité : « Le conte Peau d’Âne est difficile à croire ; mais tant que dans le monde on aura des enfants, des mères et des mères-grand, on en gardera la mémoire. »
Pour l’écrivain du XVIIe siècle, tout comme pour l’autrice contemporaine, ce conte invite à la protection de l’enfant jusqu’à son émancipation de ses parents à l’âge adulte.
La morale est claire : il faut protéger l’enfant et particulièrement la jeune fille de toute manipulation, jusqu’à ce qu’il soit maître de son destin et qu’il ait assimilé la notion de consentement.
Ancienne enseignante, agrégée en Arts plastiques, Cécile Chicault n’a pas transcrit ce conte dur et anxiogène de manière réaliste. Elle adopte au contraire un graphisme proche du symbolisme pour l’illustrer. Son trait élégant adoucit la lecture d’un récit qui empêchait, dit-on, le tout jeune Louis XIV de s’endormir. Elle entoure certaines planches d’enluminures végétales comme on en trouve dans certains manuscrits. L’autrice libère son imagination créatrice dans le dessin de robes de rêves, impossibles théoriquement à confectionner. Les éditions Jungle offre un écrin soigné à cette superbe adaptation d’un conte intemporel, avec une reliure en dos toilé du meilleur effet. Vous l’aurez compris ; nous sommes tombés sous le charme de cette nouvelle Peau d’Âne.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« La Princesse Peau d’Âne » par Cécile Chicault, d’après Charles Perrault
Éditions Jungle (16,95 €) – EAN : 978-2-822-23911-0
Parution 28 septembre 2023