Faut-il sauver le dernier grand migrateur ?

Pas facile dans une bande dessinée pour la jeunesse de renouveler le genre heroic fantasy tout en en respectant tous les codes. C’est pourtant ce que viennent de réaliser Augustin Lebon et Louise Joor, les auteurs du « Grand migrateur ». Cet excellent récit, fort bien rythmé, aux nombreux rebondissements se double d’une sous-lecture écologique plutôt fine et adaptée à un jeune lectorat.

La planète O’Zhinn a vécu des jours meilleurs. Les hommes se sont multipliés et les ressources se sont amenuisées. Les catastrophes naturelles s’enchainent : sécheresse persistante au sud, alors qu’un lent tsunami de glaire noire se déverse au nord. Les habitants sont circonspects et ne comprennent pas l’origine de ces événements. Ils n’écoutent pas la vieille Odette, une scribe qui prédit une fin du monde imminente. Pour elle, les survenues de la sécheresse, de la famine et de la glaire noire sont liées à la disparition des grands migrateurs.

« Le Grand migrateur » page 8.

Ces géants dormaient sous terre, invisibles protégés par une nature luxuriante. Tous les 200 ans, ils se réveillaient pour une grande migration vers les terres du nord.  Evidemment, par leur taille, leurs déplacements occasionnaient beaucoup de dégâts dans les champs et les constructions humaines. Ces colosses ont fini par être massacrés par les royaumes en place pour le plus grand bonheur des communautés villageoises. Seulement peu après leur disparition la malédiction de la glaire noire est apparue.

Quand un jour, un dernier géant paresseux se réveille subitement au grand désarroi des fermiers les plus proches, Odette entreprend aussitôt un grand voyage pour le protéger des chasseurs et par la même sauver sa civilisation. La vieille dame excentrique et mystérieuse a besoin de l’aide de son apprenti albinos discriminé par ses camarades, pour l’aider dans son périple aux confins du royaume.

« Le Grand Migrateur » page 20.

L'influence de MIyazaki dans le dessin...

Cette très belle bande dessinée d’aventures fantastiques destinée à un jeune lectorat propose une sous-lecture écologique adaptée pour les 10-15 ans.

Augustin Lebon utilise tous les codes du genre heroic fantasy pour son récit d’aventures et d’exploration, mais avec une élégance et une intelligence singulière.

Ainsi, dans un univers tr̬s coh̩rent, des peuples diff̩rents Рgrands migrateurs et humains Рcohabitent avec des animaux ̩tonnants, dans un monde non exempt de magie et de l̩gendes bien vivantes.

Ses héros vivent en marge de la société avant une rédemption finale bien amenée. Des dialogues vifs avec un humour distancié pimentent ce road-trip au sous-texte écologique.

Pour les adultes, il est évident que les auteurs dénoncent ici le dérèglement climatique actuel et surtout son déni par certains et surtout par nos gouvernants.

Ce propos sérieux est atténué par le dessin inventif tout en rondeur de Louise Joor, la compagne du scénariste, déjà remarquée pour son travail sur l’album « Kanopé » ou l’une des séries parallèles des « Légendaires » : « Légendaires stories ». Elle apporte une touche poétique qui doit autant à la bande dessinée franco-belge qu’au maitre du dessin animé japonais Hayao Miyazaki.

Ainsi, la silhouette et la forme du visage d’Odette évoque certaines vieilles héroïnes des studio Ghibli, tout comme le géant migrateur les héros protecteurs de la forêt dans « Princesse Mononoke ». Son utilisation des couleurs pastel est réussie notamment dans les doubles-pages de paysage.

« Le Grand Migrateur » page 53.

« Le Grand Migrateur » est une belle surprise de la rentrée : un album jeunesse agréable, énergique, qui propose une réflexion intelligente sur notre rapport à la nature, loin des discours lénifiants sur le sujet.

Laurent LESSOUS (l@bd)

« Le Grand Migrateur » par Louise Joor et Augustin Lebon

Éditions Rue de Sèvres (14,00 €) – EAN : 978-2-81020-287-4

Parution 30 aout 2023

Galerie