Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Calamity Jane, une jeune fille éprise de liberté…
Dans les années 1860, Martha Jane Cannary est une fillette qui grandit dans un Ouest des États-Unis marqué par la violence. Orpheline de mère, avec un père démissionnaire, elle doit s’occuper de ses cinq frères et sÅ“urs. Pré-adolescente dévouée à sa famille, elle rêve pourtant d’une liberté que son genre ne lui offre pas. Sensible et intrépide, elle est prête à affronter le monde injuste des adultes pour mieux s’émanciper quand le moment sera venu…
Dans le premier volume de la série, nous avons fait connaissance avec la petite Jane et sa famille d’une grande pauvreté. Après la mort de la mère, ils vivent dans une ferme isolée et délabrée près d’un village, dans les grandes plaines de l’Ouest américain encore sauvage. À 11 ans, la jeune fille préfère le pantalon, pourtant interdit aux femmes, à la robe de rigueur. Elle aime chevaucher libre autour de chez elle et a sympathisé avec une jeune Amérindienne de son âge. Elle évite autant que possible la compagnie des autres enfants du village, ainsi que du monde violent des adultes.
Le deuxième volume de la série commence au moment où la petite Cannary est obligée de venir dans un village qu’elle exècre. Sans peur, elle entre dans un saloon malfamé pour chercher son père. Celui-ci, fin saoul, est affalé sur une table de jeu. C’est sous les quolibets qu’ils sortent de la cité : ceux des ouvriers mal payés du saloon, mais aussi ceux de villageoises indignées par la moralité affichée par leur famille. C’est pour cela que, le lendemain, de bonnes dames patronnesses viennent réveiller la maisonnée Cannary, afin de scolariser les enfants. Pour décider le père, elles promettent un repas gratuit tous les jours à la fratrie. Jane est alors contrainte d’aller s’ennuyer à l’école, où elle subit la violence d’une institutrice qui lui interdit d’utiliser sa main gauche : la « main du diable », pour écrire. Mais, très vite, la jeune rebelle se révolte contre un ordre qu’elle découvre injuste.
En grandissant, Martha Jane prend conscience des profondes inégalités de la société de l’époque : du racisme et de l’ostracisme qui frappe les Amérindiens ou les autres minorités, mais aussi de la misogynie profondément ancrée dans toutes les strates de la population. La prostituée qui œuvre dans le saloon subit la violence autorisée des petits mâles locaux, son frère cadet et son père partent à la pèche en trouvant tout à fait normal qu’elle s’occupe des plus jeunes et du ménage de la maison.
La fillette est choquée par les malversations des potentats locaux à l’origine d’un terrible accident aux conséquences mortelles pour les familles de bucherons et de mineurs. In-fine, elle retrouve un peu liberté en rejoignant son amie amérindienne et en abandonnant sa robe honnie pour un pantalon synonyme de liberté.
La bande dessinée contemporaine s’est souvent intéressé au destin de Calamity Jane du très beau triptyque « Martha Jane Cannary » de Christian Perrissin et Matthieu Blanchin au non moins intéressant « Wild West » de Thierry Gloris et Jacques Lamontagne. Son enfance a été évoquée en 2021 dans « Calamity » de Gwénaëlle Boulet adapté du film de Rémi Chayé. Pour sa première bande dessinée en tant qu’autrice complète, Adeline Avril réussit à nous captiver par une œuvre alerte qui nous intéresse par ses personnages attachants et émouvants ; lesquels se débattent dans le quotidien difficile d’une petite ville de l’Ouest du milieu du XIXe siècle. Le lecteur suit avec intérêt les faits et gestes de la future Calamity Jane, encore sensible comme l’enfant qu’elle est, mais bientôt révoltée par toutes les injustices qu’elle commence à comprendre. Son émancipation est proche.
Pas de grands discours moralisateurs ici, mais des thématiques profondes traitées avec subtilité et douceur : du machisme prégnant du monde occidental de l’époque à la violence intrinsèque de l’univers des cow-boys, mais aussi du racisme au problème du harcèlement ou de l’alcoolisme. Tous ces thèmes sérieux sont traitées avec une grande pertinence, à la hauteur de l’enfant qu’est encore la petite Jane. Le dessin tout en douceur, moderne et très expressif, ainsi que la colorisation claire et une mise en images dynamique apporte une lecture fluide pour un lectorat dès dix ans.
N’hésitez pas à vous plonger dans « Calamity Jane », un western inventif sur une jeunesse volée ; le portrait tout en nuances d’une jeune fille sur la voie de l’émancipation.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Calamity Jane T2 : L’Orage » par Adeline Avril
Éditions Delcourt (11,50 €) – EAN :  978-2-4130-4577-9
Parution 26 avril 2023