Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Vermines » parallèles…
Le terme de vermine désigne habituellement les petits insectes parasitant l’homme ou les animaux, et parfois ceux infestant les cultures. Au figuré, cela peut définir une population méprisée, jugée incommodante pour la société. Dans ce récit louisianais publié chez Dupuis, les « vermines » du scénariste Mathieu Salvia et du dessinateur Johann Corgié sont de toute autre nature…
La Nouvelle-Orléans, ses clubs de jazz, son carnaval, son Vieux carré, ses quartiers pauvres… et son taux de criminalité supérieur à celui des autres métropoles américaines : un habitant de The Big Easy aurait dix fois plus de risque de se faire tuer que la moyenne des Américains ! C’est dans cette ambiance que louvoie Marcus Garner, porte-flingue de Damien, le chef du gang du Third Ward.
Leur préoccupation du moment, c’est l’expansion d’un nouveau gang — venu de nulle part — qui cherche à s’étendre et dont les membres affichent de curieux tatouages ésotériques. Un raid armé est mené par les membres du Third Ward, afin d’imposer définitivement des conditions « territoriales » aux nouveaux venus.
Une fois cette mise au point effectuée, la vie de Marcus reprend sa quotidienneté de dealer : barbecue avec les potes, trafic de rues, argent facile et gueule de bois. Cette manière de vivre déplaît fortement à son jeune frère : un musicien de jazz, comme l’était leur père (mort quelques années plus tôt). Lors d’une énième tentative de réconciliation, Marcus est de nouveau morigéné par son cadet. Déprimé, il baisse la garde et est abattu d’une rafale de balles. Il se réveille, cependant, menotté et en blouse d’hôpital, dans un immeuble à l’abandon.
Mais ce réveil tourne vite au cauchemar. Après avoir tué celui qui semble l’avoir kidnappé, Marcus se retrouve poursuivi dans un quartier en ruine par un saurien humanoïde contrôlant les lois de la gravité. Un autre individu, barbu et pourvu d’un physique étrange, s’interpose pour sauver Marcus. Lors de la bataille, ce dernier réussit à s’enfuir.
Malgré de monstrueuses visions dont il est victime, Marcus tente de rejoindre son gang. Malheureusement, ses comparses ne le reconnaissent pas et le rejettent en menaçant de l’abattre, car, si Marcus est bien revenu à la vie, ce n’est pas dans son propre corps. Une nouvelle fois, l’être barbu — nommé Grey — l’arrache à ce mauvais pas et lui explique les tenants et aboutissants de sa nouvelle situation dans le monde habité par les « vermines » : un monde contigu au nôtre.
« Vermines » est un agréable moment de lecture, qui satisfait nos besoins de chimères. Nous pouvions nous en douter un peu, puisque Mathieu Salvia publiait en début d’année « Manon » : premier tome de la série « In memoriam » (chez Dupuis). Dessiné par Djet, cette dystopie se déroule dans un Paris victime d’un attentat perpétré par des magiciens. « Vermines » et « Manon » possèdent donc, naturellement, une certaine parenté due à une ambiance fantastique, une progression narrative habilement menée, et la mise en place d’un contexte fictif d’emblée crédible.
On retrouve avec plaisir Johann Corgié que nous avions découvert — dans un registre tout à fait différent — comme dessinateur des « Lumières de l’aérotrain » (chez Grand Angle en 2018) : album écrit par Aurélien Ducoudray. Johann Corgié a aussi une belle carrière de coloriste : cette expérience donne à « Vermines » des atmosphères prenantes et de magnifiques ambiances pour lequel il crée un florilège de créatures évoquant autant Howard Phillips Lovecraft que Jim Henson.
Ce premier tome, en plus de satisfaire notre gourmandise — à l’instar d’un film de John Carpenter —, nous laisse dans l’espoir d’une suite rapide.
Merci à  Johann Corgié pour sa disponibilté.
Brigh BARBER
« Vermines » T1 par Johann Corgié et Mathieu Salvia
Éditions Dupuis (15,00 €) — EAN : 979-10-347-6536-2
Parution 21Â avril