Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...La truculente face cachée du Roi-Soleil !
Comment un jeune homme, destiné à reprendre la boucherie de son père, mais qui veut devenir barbier, va-t-il se retrouver à participer à l’opération de la fistule anale dont souffrait le roi Louis XIV, en l’an de grâce 1686 ? C’est ce que nous raconte, avec force de documentation, mais surtout beaucoup d’humour, cette pittoresque évocation de la lune du Roi-Soleil, où il est aussi question d’un complot régicide visant à profiter de l’état de santé du monarque. Avec cette amusante farce, jamais trop scabreuse ou irrévérencieuse et que n’aurait pas dédaignée un certain Molière, Philippe Charlot et Éric Hübsch signent un divertissement de haute volée.
En attendant le siècle des Lumières qui se profile à l’horizon, c’est le Roi-Soleil qui illumine de tous ses feux le royaume de France. Pourtant, en ces temps lointains, il faut savoir que l’obscurantisme est toujours de mise, notamment en ce qui concerne la médecine qui n’en est qu’à ses balbutiements. Ainsi, au XVIIe siècle, il fallait bien du courage quand on tombait malade, car les carabins d’alors prescrivaient des saignées pour un oui ou pour un non, quand ils ne développaient pas des théories – aux remèdes totalement farfelus – où l’hygiène n’était guère la priorité. Et ne parlons pas de la chirurgie que ces charlatans considéraient avec tellement de méfiance qu’ils la laissaient à quelques autres praticiens encore moins regardants et prévenants…Â
Bref, à l’époque, cela relevait vraiment de la grande aventure, d’autant plus que, si l’opération se révélait délicate, voire inédite, elle pouvait souvent être mortelle ! Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, Louis le quatorzième souffre le martyre… Une vilaine fistule, vraiment mal placée, le torture depuis des mois… et le souverain n’a plus qu’une seule option : se faire opérer !
Alors que dans les couloirs dérobés et les antichambres glauques du château, fourbes courtisans et maîtresses officielles — ou non — se livrent à diverses luttes d’influences, le peuple de Versailles se contente de ce qu’il a, tout en espérant quand même une autre vie. Ainsi, dans la boucherie familiale où il donne un coup de main à son père, le jeune ambitieux et plein d’esprit Geoffroy rêve de devenir barbier : car c’est un métier qui a l’avantage de plaire aux dames !
La livraison d’une tête de cochon et sa rencontre avec une séduisante donzelle, puis la démonstration de ses connaissances des techniques en réanimation vont lui donner l’occasion, rare, d’approcher le Soleil, par sa face cachée… en passant d’abord par la case prison ! Mais la chance va quand même très vite lui sourire, car Geoffroy sait parfaitement, en tant qu’apprenti boucher et barbier étant amené à seconder le chirurgien du roi, qu’à chaque geste correspond un outil… et qu’un bistouri, même s’il est habilement retourné, doit être bien aiguisé !
C’est ainsi qu’il va découvrir ces pratiques bien discutables de l’époque où l’anesthésie n’existait pas et où l’éthique médicale n’était qu’un concept flou : les soi-disant médecins s’exerçant alors sur les prisonniers, les vagabonds ou les vieillards.
La truculence et le côté rabelaisien sont donc les points forts de ce scénario fort bien mené et documenté, même si Philippe Charlot réussit, avec un tel sujet, à rester toujours convenant. Venu du monde de la musique, le scénariste du « Train des orphelins » avec Xavier Fourquemin — mais aussi de « Bourbon Street » avec Alexis Chabert ou de « Ellis Island » avec Miras (1) — nous prouve qu’il est aussi à l’aise avec l’humour qu’avec l’Histoire.
Évidemment, le trait semi-réaliste d’Éric Hübsch, notamment illustrateur de la saga d’heroic-fantasy « Le Chant d’Excalibur » avec Christophe Arleston ou de quelques adaptations de Marcel Pagnol, participe grandement à l’excellente narration : naviguant avec habileté entre les trognes ou les attitudes hilarantes et la rigueur des apparats de la Cour.Â
On sent tout de suite, à la lecture de ces 62 planches et de ses huit pages de suppléments pédagogiques, que nos deux complices se sont vraiment bien amusés en évoquant les problèmes de santé royaux : d’ailleurs, ils sont en train de récidiver avec un autre album qui évoquera les soucis uro-génitaux d’Henri IV et qui sera intitulé « Le Royal Zoziau ».
(1) Voir sur BDzoom.com : Molly West : une femme en colère !, « Ellis Island T1 » : aux portes du Nouveau Monde…, Avec un humour et un flegme tout britanniques, un nouveau détective vient concurrencer Sherlock Holmes dans le Londres victorien…, Road-movie breton… en cyclomoteur !, « Le Cimetière des Innocents » T3 : des fantômes pour combattre l’obscurantisme…, « Le Cimetière des innocents T1 : Oriane et l’ordre des morts » par Xavier Fourquemin et Philippe Charlot, « Les Sœurs Fox T1 : Esprits, êtes-vous là  ? » par Grégory Charlet et Philippe Charlot, « Le Train des orphelins » T2 (« Harvey ») par Xavier Fourquemin et Philippe Charlot, « Le Train des Orphelins » T1 (« Jim ») par Xavier Fourquemin et Philippe Charlot…
« Le Royal Fondement : la face cachée du Roi-Soleil » par Éric Hübsch et Philippe CharlotÂ
Éditions Grand Angle (16,90 €) — EAN : 978-2-8189-7791-0