Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Une fiction adroite avec « L’Arme à gauche » !
Depuis 2006, chez L’Employé du moi, Pierre Maurel écrit et dessine la vie de Michel : journaliste vivant de petits boulots pour financer ses enquêtes sonores en radioreportage. Dans l’album « Michel, fils des âges farouches » avait été introduit un personnage récurrent de cette série : Mario, un vieil ermite d’origine italienne. Avec « L’Arme à gauche », que publie Glénat, Pierre Maurel donne le premier rôle à Mario, à travers un road-movie pédestre.
Mario, dans son petit cabanon isolé, reçoit un matin un SMS disant : « Harpo é morto ». Une fois remis de cette nouvelle, Mario s’équipe et quitte à pied sa masure pour une mystérieuse destination. Le rythme de la marche, ainsi que certaines rencontres durant son périple vont lui rappeler les étapes cruciales de son existence.
Mario est un enfant de l’après-guerre, né en Calabre, dans un milieu modeste. Son enfance est marquée par la violence mafieuse. En âge de travailler, il est embauché sur une unité d’emboutissage au sein d’une chaîne de montage automobile.
Dès son premier jour d’usine, Mario est confronté à l’injustice sociale : un ouvrier étant saqué à cause de ses activités syndicales. Lors du débrayage, il rencontre Jacopo, un autre ouvrier de son âge. Ce dernier — plus expérimenté que Mario dans le monde du travail — lui explique son point de vue sur les limites du principe de la grève. Il lui annonce qu’avec des amis ils envisagent d’autres méthodes, afin de faire plier le patronat.
Leur première action est à l’initiative de Sara, une amie de Jacopo : le trio enlève un homme allant faire un important dépôt à la banque. Puis, les trois amis se spécialisent dans l’enlèvement de personnes fortunées, les rançons permettant de financer la lutte prolétarienne. Afin de brouiller les pistes, Jacopo a l’idée de grimer la petite bande avec des accessoires les faisant ressembler aux Marx Brothers. Malgré cela, la police italienne semble les avoir repérés. Jacopo, Sara et Mario se séparent, chacun partant vers son propre destin.
« L’Arme à gauche » évoque — à travers Mario — l’époque des « années de plomb » italiennes, la vie de ces activistes venus en France — et protégés un temps par la « doctrine Mitterrand » (1) —, l’abrogation de cette dernière par la droite au début des années 2000 et les conséquences sur la vie de ces personnes, mais aussi des situations contemporaines, pas si éloignées de celles de la jeunesse de Mario.
Un couple accueillant, des adolescents en révolte, de braves citoyens sûrs de leur bon droit, des réfugiés syriens et un ancien compagnon des années de lutte croiseront la route de Mario. Ces rencontres, ces souvenirs, orchestrés par Pierre Maurel, nous interrogent sur l’évolution de notre société au cours des 50 dernières années, mais surtout sur l’essence des engagements et la valeur que ces derniers apportent à une vie.
Brigh BARBER
« L’Arme à gauche » par Pierre Maurel
Éditions Glénat (17,50 €) — EAN : 978-2-344045671
Parution 11Â janvier 2023
 (1) En 1985, François Mitterrand décide de ne pas extrader vers l’Italie les activistes ayant renoncé à la lutte armée et n’ayant pas participé à des crimes de sang.