Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Pour Chloé Cruchaudet, la Madeleine de Proust s’appelle Céleste…
À l’occasion du centenaire de la mort de Marcel Proust — et après diverses tentatives graphiques et narratives —, Chloé Cruchaudet met en scène, dans ce nouveau récit prévu comme un diptyque, les relations entre l’écrivain de génie et sa dernière gouvernante : Céleste Albaret, qui fut parfois sa secrétaire. Notre autrice retrouve donc un peu l’époque qui lui avait si bien réussi dans son magnifique « Mauvais Genre » (1), s’appuyant, cette fois-ci, sur une structure en miroir fort bien mise en valeur par son trait délicat et ses dialogues aussi poétiques qu’efficaces.
Provinciale ayant quitté très tôt le modeste cocon familial de sa campagnarde Lozère, Célestine (son prénom sur l’état civil) débarque à la capitale et épouse Odilon : un chauffeur de taxi de dix ans son aîné, qui véhicule régulièrement le célèbre Marcel Proust.
Pour la faire sortir un peu de la pièce qui sert d’appartement au jeune couple — et qu’elle n’arrive même pas à entretenir, n’étant pas vraiment doué pour les travaux domestiques —, son mari lui propose un petit boulot chez son client écrivain : ce dernier ayant besoin de quelqu’un pour amener des paquets à ses mondaines relations parisiennes.
Nous sommes en 1913, et elle n’a que 22 ans lorsqu’elle va rencontrer pour la première fois l’auteur d’« À la recherche du temps perdu » : lui en a déjà 42. N’étant alors vraiment pas dégourdie, elle doute de l’intérêt que l’homme de lettres pourrait lui porter. Pourtant, elle ne le quittera plus et restera à ses côtés jusqu’à son décès, en 1922 : complètement imbibée par la personnalité de cet étonnant dandy, elle sera son unique confidente.
C’est peut-être justement parce qu’elle ne sait rien faire que ce plumitif aux mœurs bourgeoises, déjà bien malade, s’attache à Céleste : candide oie blanche qu’il peut façonner à son envie. Comme il consacre quasiment tout son temps à la littérature et aux mondanités, il ressent la nécessité d’avoir une personne à qui se confier et avec qui il peut entretenir une relation particulière : la jeune femme — qui inspirera le personnage de Françoise, l’employée de Tante Léonie, dans son œuvre maîtresse — lui devenant même une aide non négligeable dans l’écriture de ses romans.
Cette accointance qui va se développer entre deux êtres si opposés et la transformation sociale de cette héroïne vivant un peu par procuration — mais en qui Proust décèle très vite des qualités littéraires — sont mises en scène avec beaucoup de sensibilité, tant sur le plan narratif que graphique, par Chloé Cruchaudet : laquelle réussit, également, à retranscrire parfaitement l’atmosphère du Paris de cette période pleine de bouleversements.
Enthousiasmant portrait d’une femme passionnée et dévouée, publié dans la belle collection Noctambule des éditions Soleil — qui n’a jamais aussi bien porté sa volonté d’être une passerelle entre littérature et bande dessinée —, « Céleste » est également l’occasion de découvrir, sans concession, l’un des auteurs majeurs du XXe siècle : un homme fantomatique, un brin tyrannique, et qui se serait, en fait, retrouvé bien seul sans cette fameuse Céleste !
(1) Voir « Mauvais Genre » par Chloé Cruchaudet.
« Céleste : “bien sûr, monsieur Proust” » T1 par Chloé Cruchaudet
Éditions Soleil (21 €) — EAN : 9 782 302 095 700