Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« Celle qui parle » : le pouvoir de la parole !
La bande dessinée dite « franco-belge » est un médium extraordinaire : à la fois narratif, artistique, pédagogique et formidablement vivant ! D’ailleurs, on y découvre régulièrement de remarquables nouveaux auteurs qui peuvent s’exprimer librement, sur un nombre de pages de moins en moins formaté. C’est le cas, ici, de la jeune Espagnole Alicia Jaraba qui nous raconte, sur plus de 200 belles planches en couleurs, la véritable épopée de la fille d’un chef déchu, offerte comme esclave, qui deviendra l’une des plus grandes figures féminines de l’histoire. Plus connue aujourd’hui sous le nom de La Malinche, cette Amérindienne sera la maîtresse de Cortès (le terrible conquérant espagnol) et assumera auprès de lui un rôle déterminant dans sa conquête du Mexique, en tant qu’interprète, conseillère et intermédiaire.
Nous sommes donc dans l’Amérique latine du XVIe siècle, où les luttes tribales font rage entre les Mayas et les Mexicas, tandis que débarquent des conquistadors venus de la lointaine Espagne, bien décidés à coloniser ce monde plus évolué qu’ils ne le croient. Malinalli est la progéniture du cacique d’Oluta et elle se découvre un pouvoir extraordinaire : celui de pouvoir apprendre plusieurs dialectes, avec une facilité déconcertante. Alors que son père et sa sœur vont être sacrifiés au dieu aztèque de la guerre par les Mexicas et qu’elle sera soumise sexuellement par des hommes sans scrupule, cette jeune indigène se libérera de ses chaînes, grâce à sa maîtrise des langues et de la parole. Elle va donc aider les Espagnols à se battre contre les Mexicas qui avaient asservi tout son village natal et à qui elle a été vendue comme esclave par sa famille.
En plongeant sans pudeur dans l’intimité de son personnage et dans le quotidien des femmes de cette époque, celle qui n’avait jusque-là illustré que deux tomes de la série jeunesse « Les Détectives du surnaturel » chez Jungle (2017-2019) et un biopic de Catherine Dolto pour Delcourt (2019-2020) nous épate avec ses premiers pas d’auteur complet : contrôlant aussi bien le dessin que la narration, en imposant sa propre personnalité. Il faut toutefois savoir que cette révélation bédéesque, de son nom entier Alicia Jaraba Abellán, a quand même étudié les langues, ainsi que la littérature espagnole et française, à l’université de Saint-Jacques de Compostelle pendant sept ans ; ceci avant de se tourner vers une école d’arts graphiques à Madrid où elle s’est spécialisée dans la bande dessinée.
Avec cette œuvre conséquente, qui se veut avant tout une réflexion intelligente sur l’importance de l’éducation, de la connaissance et du langage — pour lutter contre l’intolérance, la violence et l’obscurantisme —, cette jeune artiste cerne très bien les différents aspects contradictoires de cette figure très vivace, en Amérique centrale et en Espagne : La Malinche représentant à la fois le symbole de la trahison, de la victime consentante, et de la mère du peuple mexicain moderne.
« Celle qui parle » par Alicia Jaraba
Éditions Grand Angle (24,90 €) — EAN : 978-2-8189-8406-2