Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Rébellion et légende tunisiennes…
Dans « Une révolte tunisienne », l’évocation des événements de 1984 et le soulèvement du peuple sont bien évidemment au cœur du récit. Ces « émeutes du pain » servent de contexte, mais elles ne constituent pas l’essentiel, ce que sous-entend le sous-titre « La Légende de Chbayah »…
En décembre 1983, l’annonce de l’augmentation du prix du pain et des denrées alimentaires met le feu aux poudres ; mais, à Douz, les premières manifestations sont violemment réprimées. Début janvier 84, les émeutes se propagent dans tout le pays, avec violences et saccages, entrainant état d’urgence et couvre-feu. Des dizaines de personnes seront tuées. Bourguiba annule les augmentations…
Dans ce contexte dramatique, une petite voix va se faire entendre, celle d’une mystérieuse radio pirate qui va détourner et manipuler les opérations militaires et policières en utilisant leur longueur d’ondes. Deux personnages y parlent : un vieil homme et son petit-fils : Salem. Avec humour, ils narguent les forces de l’ordre, donnant de mauvaises informations et les poussant à l’erreur.
La radio est animée par un personnage surnommé Chbayah : ce qui veut dire « petit fantôme » en arabe. Chbayah devient la coqueluche des Tunisois qui cherchent eux aussi à écouter l’inconnu provocateur. C’est ce que les auteurs de l’album racontent en donnant des visages aux rebelles radiophoniques, en inventant notamment Salem : un enfant chasseur de vipères, manchot, et s’adressant à des fantômes. Salem, le gamin, est qui plus est fasciné par une affiche de « La Fille de Trieste » avec Ornella Muti : le récit donnant d’ailleurs la part belle aux Italiens installés sen Tunisie.
Ce récit original se dote d’une variété de styles graphiques en fonction des périodes racontées : scènes muettes avec une mystérieuse vipère traitées en couleurs, scènes d’action au trait caricatural et expressif, scènes du passé monochromes… Au total plus de 200 pages très intéressantes. Rappelons que les éditions Alifbata, installées à Marseille, publient essentiellement des bandes dessinées venant du Maghreb ou du Moyen Orient. Nous avons ici même présenté « Le Pain nu ». En septembre dernier, ils ont ainsi publié « Migrations » : hors-série né d’une résidence organisée à Tunis et intitulée « Dessiner l’exil », lors de laquelle 12 auteurs de différents pays arabes ont été invités à aborder la migration et l’asile à partir de témoignages personnels et d’histoires vécues.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« Une révolte tunisienne » par Seif Eddine Nechi et Aymen Mbarek
Éditions Alifbata (23 €) – EAN : 9782957054510
Parution 28 janvier 2022