Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Écrin de noir pour « La Guerre des mondes » !
Écrit en 1898 par H.G. Wells, « La Guerre des mondes » reste un incontournable de la science-fiction. Le récit apocalyptique, extrêmement novateur pour l’époque n’a pas perdu de sa saveur, malgré son âge. La version en manga éditée en France chez Ki-oon se veut somptueuse, et nous plonge dans l’ambiance victorienne de cette invasion extraterrestre hors du commun.
Je ne vais pas vous faire l’affront de vous résumer « La Guerre des mondes » : tout le monde connaît ce récit où des extraterrestres venus de Mars envahissent l’Angleterre, puis le reste du monde, à la fin du XIXe siècle. H.G Wells a su construire un récit captivant, fourmillant de détails, raconté à la première personne. La version radiophonique d’Orson Welles, diffusée en 1938 sur le réseau CBS aux États-Unis, utilisait les mêmes ficelles en les amplifiant, créant par endroit une panique légendaire, quoiqu’exagérée par les journaux de l’époque.
Quelques différences sont quand même à noter. Si on a lu le roman d’H.G. Wells, on remarquera que le scénariste, Sai Ihara, prend énormément de liberté dans la narration du récit, tout en gardant la trame de base. Déjà , le manga débute en 1901 et non en 1894, sans avoir d’influence sur le déroulement des événements. Le narrateur, qui n’est jamais nommé, est ici photographe. Il est témoin des événements et cette fonction, absente de l’œuvre de Wells, est en quelque sorte là pour justifier son travail de documentaliste. Cela permet également quelques digressions qui apportent un peu de fraîcheur et d’humour dans le scénario, mais était-ce nécessaire  ?
Les éditions Ki-oon ont choisi de faire de cette série en trois parties d’un volume une collection d’exception. À l’image de ce qu’ils ont fait pour les adaptations de l’œuvre de Lovecraft par Gou Tanabe. Pour « La Guerre des mondes », la couverture est cartonnée avec un noir profond sur lequel ressort une simple esquisse blanche, représentative des envahisseurs tripodes géants. Le titre est d’un rouge flamboyant, comme un avertissement sur la menace qui pèse sur la terre. Dos cousus, tranchefile, tranche noircie, garde également noir, tout est fait pour mettre en valeur la noirceur du récit. C’est peut-être là que l’on pourrait reprocher au dessinateur, Hitotsu Yokoshima, d’avoir un trait trop scolaire et surtout bien trop clair. On ne sent pas vraiment la menace montée et, par exemple, les effets sur les morts découpés par le rayon de lumière des extraterrestres sont à la fois spectaculaires et grand-guignolesques. L’encrage aurait mérité d’être plus travaillé avec des ombres franches et quelques nuances dans les traits de plume. Surtout quand on voit les crayonnés, plus vivants, présentés en fin d’album. Surtout connu pour son travail sur le personnage de Kamen Rider au Japon, Hitotsu Yokoshima semble avoir traité ce manga comme une série lambda et ça se sent un peu.
L’éditeur cherche clairement à attirer les lecteurs du travail de Tanabe sur les chefs-d’œuvre de Lovecraft, car il propose un cahier des premières pages de « La Guerre des mondes » avec le dernier volume paru de la série  : « Celui qui hantait les ténèbres ». Évidemment, la comparaison entre les deux œuvres n’est pas forcément flatteuse pour « La Guerre des mondes », mais cette série de trois mangas cible clairement les adolescents qui apprécieront d’avoir accès à ce classique dans un format accessible et rassurant. Surtout qu’il est étonnant de constater que ce roman, même s’il est reconnu comme un pilier de la science-fiction, a finalement été peu adapté en bande dessinée, malgré le fait qu’il soit aujourd’hui dans le domaine public.
Gwenaël JACQUET
« La Guerre des mondes » T1 à 3 par Sai Ihara et Hitotsu Yokoshima
Éditions Ki-oon (13,90 €) – EAN  : 9791032707074
La Guerre des Mondes © Sai Ihara / Hitotsu Yokoshima 2019 KADOKAWA CORPORATION
Cela n’intéressera certainement pas les amateurs de mangas purs et durs, et encore moins les lecteurs de bd, qui préféreront relire le chef d’oeuvre de Wells. Mais, et cela ne date pas d’hier, le manga fait beaucoup d’incursions dans la littérature « classique » et des biographies de personnages célèbres, et c’est une démarche qui a le mérite d’exister…
L’adaptation des classiques de la littérature est en effet courant en manga. Les éditions Nobi-Nobio ayant même une collection des grands classiques à leur catalogue comme je l’ai souligné avec ma chronique sur « Dracula » (http://bdzoom.com/161228/actualites/«%C2%A0dracula%C2%A0»-un-classique-maintenant-en-manga/). C’est une des raisons qui m’a poussé à m’étonner du peu d’adaptation de cette « Guerre des Mondes », que ce soit en manga ou en BD. Les amateurs de manga pourront néanmoins, je pense, y trouver leur compte en fonction de leur âge et de leur intérêt pour le sujet et la science-fiction.