Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Féminisme futuriste dans « Le Siège des exilées »…
On a découvert Akane Torikai avec son portrait de femmes désabusées dans la série en huit volumes « En proie au silence ». Cette mangaka revient avec un diptyque où la femme est encore une fois au centre du récit : « Le Siège des exilées » ou la science-fiction abordée du côté féministe.
un futur dystopique où les femmes règnent en maître et dans la paix, le lecteur suit la vie de Sanada : une belle jeune femme longiligne, acupunctrice, aux cheveux fins comme des fils de soie. C’est au milieu d’un bidonville, à l’écart de la grande ville civilisée, qu’elle a élu domicile. Reiho est le seul homme à vivre dans ce lieu. À l’écart de la société, il vend son corps à de riches citadines, en quête d’un peu de piment et à la découverte de sensations inconnues et bannies de la société. Au fil des pages, on comprend que dans le monde où vivent ces gens, les hommes n’ont que peu de place. Ils servent principalement à faire perdurer la race humaine. Voilà pourquoi Reiho est devenu une telle curiosité : ses services pouvant se monnayer très cher.
Étrange monde dans lequel nous plonge Akane Torikai ! Les premiers chapitres n’expliquent pas vraiment la situation, le lecteur est immédiatement immergé dans un milieu étrange et rude, sans vraiment se rendre compte que Sanada et Reiho ne croisent que des femmes. Ce n’est qu’au chapitre 4 que l’on commence à découvrir le passé des personnages et, surtout, certains faits incongrus qui régissent ce monde. À la manière d’un élevage de poule, les humains sont triés à la naissance, et seuls les mâles pouvant servir de reproducteurs sont exploités. C’est donc un monde exclusivement constitué de femmes. Étrangement, les rapports charnels n’existent plus que pour une partie infime de personnes. Comme si une amnésie générale avait touché tout ce qui se rapporte à la sexualité.
Dans ce premier tome, Akane Torikai se focalise sur certains sujets qui semblent insignifiants, augmentant ainsi la frustration du lecteur. C’est ainsi qu’une discussion sur la forme de cette chose que les hommes auraient entre les jambes prend des proportions exagérées. Il n’existerait plus de manuel, plus de dessin, plus de photo ? Même les mannequins sont asexués. Bien évidemment, Sanada, l’héroïne, aurait un secret qui n’est pas encore expliqué dans cette première partie.
Akane Torikai n’y allait pas par quatre chemins dans sa série « En proie au silence ». Plus habituée aux récits réalistes et contemporains, elle s’essaye ici à la science-fiction. Le résultat est pour ainsi dire étrange. On reconnaît immédiatement la patte de l’artiste dans le trait comme dans la narration. S’il n’est nullement besoin de nous expliquer le fonctionnement de la société patriarcale qui est la nôtre, cette vision matriarcale reste extrêmement déroutante. L’homme n’est ici qu’un simple objet éveillant la curiosité. Les habitants de ce bidonville, même pauvre, semblent vivre en harmonie. On est presque revenu 150 ans en arrière, quand l’Asie ne s’était pas encore totalement ouverte au monde.
Dans « You’ve Gotta Love Song »,  succession d’histoires courtes, on sentait l’autrice légèrement à l’étroit. Elle a clairement besoin de développer son œuvre, de laisser ses personnages évoluer sous nos yeux. Le lecteur doit avoir le temps de développer une vraie empathie pour ces destins de femmes. Tout le contraire de ce qu’elle a mis en place avec « En proie au silence », et maintenant « Le Siège des exilées » où elle prend le temps de partager le quotidien de ses héroïnes. Deux tomes, c’est à la fois assez court, mais néanmoins suffisant pour découvrir des femmes hautes en couleurs. Bien sûr, le suspense est à son comble avec ce premier volume ; heureusement, il ne faudra pas trop attendre pour avoir la conclusion puisque les deux tomes sortent à un mois d’intervalle.
Ce premier volume de la série « Le Siège des exilées » est présenté sous une couverture métallique dorée, à la fois froide et incroyablement brillante : à l’image du contenu qui ne se dévoile pas entièrement dès le départ. Une plongée dans un monde futuriste qui fait réfléchir sur la condition humaine et particulièrement celle des femmes : sujet chère à l’autrice.
Gwenaël JACQUET
« Le Siège des exilées » par Akane Torikai
Éditions Akata (8,75  €) – EAN  : 9782382120029
© Akane Torikai 2018 / KADOKAWA CORPORATION