Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...Une légende bretonne toujours vivante : celle de la ville engloutie d’Ys…
La construction de la magnifique cité d’Ys, puis sa disparition sous les flots, constitue la trame d’un très beau conte breton. La plus connue des légendes maritimes françaises est transcrite dans une superbe bande dessinée qui s’attache à l’évolution des relations entre les principaux personnages : la reine Malgven, le roi Gralon et surtout leurs filles la tendre Rozenn et l’ambigüe Dahut.
Au début d’un moyen-âge de légende, Gradlon le roi de Kerne revient gravement blessé d’une campagne guerrière. Comme surgit des eaux, une superbe femme le recueille sur son cheval. Dame Malgven lui promet la reconnaissance du pays et la sienne si le roi tue son époux, le duc de Wened réputé pour sa sorcellerie. Gradlon l’affronte victorieusement avant de retourner à Quimper, sa capitale. Là , il épouse Malgven qui le soigne en lui annonçant : « J’aurai recours à la sorcellerie pour vous bâtir une nouvelle capitale plus belle que toutes les cités érigées par les hommes. Vous me donnerez des enfants. Pour vous, je repousserai la mer avec des digues, je vous construirai un palais coiffé de dômes et de tours. »
Le temps a passé, Malgven a repoussé la mer, construit les murailles de la ville d’Ys et donné deux filles au roi.
La magie a fait son œuvre, ils ont vécu heureux mais la reine est morte subitement. Elle a vieilli brusquement.
Le roi a déposé son corps sur un bateau auquel il a mis le feu pour la renvoyer auprès de son peuple féerique : « Au-delà des îles fantômes des mers du nord, peut-être à l’envers de la Terre. »
Gradlon inconsolable demeure en son palais d’Ys avec ses deux filles. L’ainée, la brune Rozenn, se réfugie souvent dans les landes à l’intérieur des terres, proche du peuple de la nature et des animaux. La cadette, la rousse Dahut profite des fastes de la vie de cour pour s‘abimer dans les plaisirs. Les deux sœurs s’éloignent de plus en plus l’une de l’autre jusqu’à compromettre le fragile équilibre sur lequel repose les fondations de la cité d’Ys.
Ys est une cité fabuleuse mais fragile, protégée des assauts de l’océan par un système d’écluses forgé par la magie de Malgven. Si le barrage ne cède pas c’est que Dahut poursuit l’œuvre de sa mère.
Elle s’est initiée à la magie noire et offre aux monstres marins qui nagent autour de la côte la tête de ses amants d’un soir. Sous ses dehors frivoles, elle maintient hors des flots une ville menacée.
La tendre Rozenn de son côté ne vient que par obligation aux fêtes du palais. Elle ne quitte qu’à regret la lande, la compagnie des pêcheurs et les discussions avec un sage ermite reclus au cœur d’un cercle de menhirs : le futur saint Corentin. Quand le lien entre les deux sœurs est définitivement distendu, la cité bretonne sera engloutie par une mer en furie.
Cette très belle adaptation du conte celtique est l’œuvre de deux auteurs nord-américains. Matthew Tobin Anderson s’est inspiré des multiples versions de la légende pour écrire un scénario dense, aux multiples intrigues bien maitrisées, à partir de la rencontre de Gradlon et Malgven jusqu’à la disparition d’Ys et l’installation du roi, de Rozenn et de Saint Corentin à Quimper.
Il centre son récit sur les rapports ambivalents entre les deux sœurs, toutes deux dévastées par la disparition de leur mère. Elles trouvent chacune un chemin différent pour surmonter cette douleur et vivre le plus sereinement possible.
De passionnantes thématiques traversent ainsi l’album ; du travail de deuil à la recherche de l’amour, des satisfactions fugaces du pouvoir à l’affirmation du christianisme sur un paganisme finissant et de la puissance des forces naturelles à la réalité des personnes cachées derrière le masque des apparences.
Le superbe dessin, tout en rondeurs vives de Joséphine Rioux apporte une note de poésie supplémentaire à cette adaptation réussie. La tonalité sombre de l’album est magnifié par des dégradés de couleurs marines, de bleus et de verts et d’orangés et de beiges pour les séquences terrestres.
La couverture épaisse, avec un relief travaillé, appelle à lire cette riche adaptation de la légende d’Ys sur plus de 200 pages agrémentées d’un cahier graphique.
Le drame passe avant tout par le dessin tant les mots y sont comptés. Les dialogues serrés révèlent des passions enfouies et les sentiments à fleur de peau des personnages de ce mythe encore bien vivant dans le sud Finistère, la fin de l’album en fait foi.
« Sœurs d’Ys » renouvelle l’approche par le neuvième art d’un mythe déjà traité de belles manières que l’on pense au très beau « Bran Ruz » de Claude Auclair et Alain Deschamps qui fit les beaux jours du magazine (À suivre) de 1978 à 1981 ou plus près de nous à « Ys : La légende » de Nenadov et Istin, « La Ville d’Ys » de Alzate et Rodolphe, « Keltos » de Kordey et Pecau ou « Le Chant d’Excalibur » d’Arleston, Melanyn et Hübsch.
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Laurent LESSOUS (l@bd)
« Sœurs d’Ys, la malédiction du Royaume englouti » par Joséphine Rioux et Matthew Tobin Anderson
Éditions Rue-de-Sèvres (20,00 €) – EAN : 978-2-81021-740-3