Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Hippolyte, Vincent Zabus et la sensibilité de l’enfance : c’est « Incroyable ! »…
Dans la Belgique des années 1980, Jean-Luc, un petit garçon solitaire, hypocondriaque et souffrant de TOCs, se réinvente un monde où cohabitent acariens, fantômes du passé, désir de bien faire à l’école… et envie de rencontrer le roi des Belges. Ce dernier, il en est persuadé, peut l’aider à trouver le sujet de son prochain exposé ! Confrontant rêve et âpreté du monde, Vincent Zabus et Hippolyte (« Les Ombres », Phébus 2013 et Dargaud 2020) réinventent le conte philosophique, glissant délicatement du théâtre à la planche en suivant une tendre ligne graphique digne de Sempé.
Professeur de Français et dramaturge d’origine belge, Vincent Zabus (né en 1971) est connu des bédéphiles pour « Le Monde selon François » (3 tomes dessinés par Renaud Colin ; Dupuis, 2007 à 2009), « Agathe Saugrenu » (3 tomes dessinés par Valérie Vernay ; Dupuis 2007 à 2009) ou encore le plus récent « L’Éveil » (dessin de Thomas Campi ; album publié chez Delcourt ce mois-ci). En compagnie d’Hippolyte, il avait également cosigné en 2013 « Les Ombres », un beau récit allégorique mettant en perspective l’exil et la question des migrants. Initialement publié par les éditions Phébus, cet album de 184 pages est actuellement repris chez Dargaud, en parallèle de la parution d’« Incroyable ! ». De son côté, le Français Franck Meynet (alias Hippolyte, né en 1976 dans les Alpes) a étonné à chaque étape de sa carrière, en n’étant jamais là où on pouvait l’attendre : de « Dracula » (Glénat, 2003 – 2004) aux grands reportages BD pour le compte de la revue XXI (dont « Les enfants des rues de Kinshasa », première bande dessinée jamais sélectionnée – en 2012 – pour le prestigieux prix Albert Londres), du « Maître de Ballantrae » (Denoël Graphic, 2006 – 2007) au collectif « Brassens, un p’tit coin de paradis » (éditions Margot, 2012), et de « Minik » (scénario de Marazano ; Aire Libre, 2008) à « La Fantaisie des dieux : Rwanda 1994 » (Les Arènes, 2014), seule compte l’envie de cet artiste – reporter de raconter le monde autrement ; et notamment, depuis La Réunion où il s’est installé, en alternant les styles entre récit documentaire, travail d’affichiste (voir le site : https://laffiche-dune-ile.myshopify.com/) et conte tourné vers l’onirique.
D’abord imaginé pour le théâtre (à l’instar de « Les Ombres » dès 2008), « Incroyable ! » – loin d’une adaptation, littérale – se réinvente sous la forme bande dessinée. Le choix des années 1980, qui permet une certaine distanciation temporelle ouvre sur les potentialités du merveilleux tout en conservant des références communes aux auteurs et à la grande majorité des lecteurs. Parmi ces dernières (parfois héritées de la fin des années 1970), citons les cartes Panini, la Simca 1000, le walkman et les radiocassettes, la coupe du monde de football à Mexico, le fait de fumer en voiture ou le tube des Eagles, « Hotel California » (1977). Enfermé dans un univers rassurant (sa chambre), ne parcourant le monde extérieur (en particulier le trajet domicile – école) qu’avec la sécurité illusoire procurée par des rituels ludiques enfantins, Jean-Luc vit replié dans un monde qui n’appartient qu’à lui. Hanté par l’absence de ses parents, s’inventant des amis virtuels, Jean-Luc s’ouvre toutefois sur l’infiniment grand grâce à la science et aux recherches documentaires : fidèle de la bibliothèque de l’école Saint-Vincent, il passe en effet son temps à rédiger des centaines de fiches, sur des sujets souvent anecdotiques. Ce travail sera-t-il suffisant pour lui permettre de présenter prochainement un exposé devant sa classe ? Rien n’est moins sûr, dans la mesure où l’inattendu, l’insignifiant et le surprenant peuvent parfois venir dérégler de manière rocambolesque tout une vie. En fait d’incroyable, le fantastique et le difficile à croire se conjuguent ici pour abonder la poésie naturelle d’un enfant lunaire qui n’aspire secrètement qu’à grandir, en affrontant le monde réel pour s’affranchir de ses angoisses et retrouver sa mère malade. Traité selon un graphisme léger, aérien, conjuguant encres, crayons, aquarelles et feutres, le récit se laisse porter jusqu’à son dénouement, non sans humour ni humeurs en reflets de notre monde actuel
En couverture, l’enfant est digne graphiquement à la fois des personnages de Sempé, de la touchante naïveté du « Petit Prince » de Saint-Exupéry (héros dont il reprend les « cheveux couleur d’or ») et de l’humour tendre de Goscinny (Jean-Luc porte la même écharpe rouge que « Le Petit Nicolas » ). Il apparaît ici particulièrement seul et studieux, environné par les nombreux rayonnages encombrés d’une bibliothèque à l’ancienne. Mais semblant maîtriser tel un alchimiste ce puissant monde du savoir, l’enfant s’ouvre, par sa seule curiosité, aux univers littéraires (les livres) et scientifiques (planètes, étoiles et comètes). Non sans difficultés ni tâtonnement, comme semblent en témoigner les fiches minuscules, blanches et éparses sur lesquelles Jean-Luc griffonne apparemment quelques notes. Merveilleux et réel, imaginaire et concret, deux mondes à priori insolubles, voire antagonistes : pourtant, ici, l’un et l’autre semblent se correspondre via le personnage de Jean-Luc. Ainsi, si l’ombre portée du jeune personnage s’empare d’une partie de la bibliothèque murale, c’est bien parce qu’elle témoigne à sa manière de la luminosité de la comète qui surgit sous les pieds du protagoniste. Incroyable mais vrai, les bonnes étoiles existent donc : « L’incroyable de l’existence, c’est ça la vie », nous expliquerons sagement les auteurs aux termes des 200 pages de cette aventure. Croyons-les, puisque cet album léger et poignant existe… Leur prochain est déjà entamé : rien d’étonnant !
Philippe TOMBLAINE
« Incroyable ! » par Hippolyte et Vincent Zabus
Éditions Dargaud (35,00 €) – EAN : 978-2-205-07965-4