Jacques Blondeau (deuxième partie) : de la presse quotidienne aux revues pour la jeunesse…

Voici la suite et la fin de ce dossier sur Jacques Blondeau : un dessinateur qui, à l’exception de quelques brèves collaborations avec l’édition traditionnelle, a travaillé au cours de sa trop courte carrière pour un seul employeur : Paul Winkler. C’est, en effet, pour le fondateur de la fameuse agence de presse Opera Mundi et du groupe de presse Édi-Monde que ce bourreau de travail a livré la plus grande part de son Å“uvre (1). Retour sur un dessinateur oublié des années d’après-guerre : comme hélas beaucoup d’autres…

« L’Extraordinaire Cicéron » dans Lecture pour tous n° 14 (en 1955).

Illustrations dans le n° 113 (25/07/1954) du Journal de Mickey.

Au cours des riches années où il a travaillé pour la presse quotidienne, Jacques Blondeau réalise également des illustrations pour l’hebdomadaire féminin Confidences et pour son almanach.

Il dessine aussi, en 1954-1955, une bande dessinée dédiée aux « Grands Espions » et publiée par l’hebdomadaire Lectures pour tous.

Ces deux journaux ont été créés par le papivore Paul Winkler.

Jusqu’en 1959, Jacques Blondeau se contente d’abord de réaliser des illustrations pour le Journal de Mickey créé par Paul Winkler en 1934 et relancé après-guerre en 1952. (2)

Les rares bandes dessinées réalistes françaises publiées par l’hebdomadaire sont, dans un premier temps, confiées à son amie Martine Berthelemy (« Le Félin géant », « Les Enfants du capitaine Grant », « La Flèche noire »…).

Curieusement, sa première bande dessinée parue dans Le Journal de Mickey est la brève reprise des « Nouvelles Aventures de la petite Annie ».

Héroïne américaine dont la prolongation française est confiée par Paul Winkler au fantasque dessinateur espagnol José Ramón Larraz.

Celui-ci devenu introuvable, c’est avec habileté que Jacques Blondeau s’adapte au pied levé à son univers graphique.

Cette brève participation commencée dans le n° 245 (3 février 1957) — il y en aura d’autres — lui permet de montrer qu’il est aussi habile dans le domaine de la jeunesse que dans celui, plus adulte, de la presse quotidienne.

« La Petite Annie » dans le n° 245 (03/02/1957) du Journal de Mickey.

En 1959, lorsque le Journal de Mickey augmente sa pagination, l’hebdomadaire de Paul Winkler lance plusieurs nouvelles histoires réalisées par des auteurs français.

Particulièrement gâté, Jacques Blondeau commence deux nouveaux récits dans le n° 292 (30 décembre 1957) qui voit débuter la nouvelle formule comptant 28 pages au lieu de 16.

Le premier, « Lancelot chevalier de la Table ronde », est écrit par l’excellent Pierre Fallot, également directeur artistique du journal (1909-1976) : trois longs épisodes seront publiés sans interruption jusqu’au n° 487 (24 septembre 1961).

Les dessins sont soignés, les filles superbes, le scénario passionnant.

Bien des jeunes lecteurs de l’époque ont fantasmé sur ces pages à cent lieues des mièvreries de la BD pour enfants.

« Lancelot chevalier de la Table ronde » : première planche dans le n° 292 (31/12/1957) du Journal de Mickey.

« Lancelot chevalier de la Table ronde » : dernière planche dans le n° 461 (26/03/1961) du Journal de Mickey.

La seconde histoire présentée sur une double page est la version, en BD, du roman de Paul Toutkovsky : « Altanaï prince tartare » : une aventure mouvementée en 34 pages au temps des cosaques luttant au cœur de la Sibérie du XVIe siècle. C’est, pour Jacques Blondeau, le premier récit d’une longue série d’adaptations de célèbres romans en BD, le plus souvent aux scénarios signés par Pierre Fallot.

« Altanaï prince tartare » d'après Paul Toutkovsky dans le n° 296 (26/01/1958) du Journal de Mickey.

Le n° 311 (11 mai 1958) voit débuter une superbe adaptation en 44 pages de « Sans Famille », suivie de « En Famille » d’après l’œuvre d’Hector Malot. Rémi, Vitalis, Joli-Cœur… revivent merveilleusement sous le crayon inspiré du dessinateur.

« Sans Famille » d’après Hector Malot, dans le n° 316 (15/06/1958) du Journal de Mickey.

Avec « Luc Baleine » du romancier René Guillot, le lecteur est invité à ferrailler au cœur de l’univers des corsaires, tout au long de 48 pages, à partir du n° 340 (30 novembre 1958).

« Luc Baleine » d'après René Guillot, dans le n° 343 (21/12/1958) du Journal de Mickey.

C’est au milieu de 1960, qu’il reprend brièvement « Tim la Brousse » : série de jungle lancée en 1957 par José Larraz, une fois de plus défaillant.

« Tim la Brousse », dans le n° 429 (14/08/1960) du Journal de Mickey.

Il faut attendre le n° 450 du 8 janvier 1961 pour lire « Eyrimah » : une adaptation, en 36 pages, du roman préhistorique de J. H. Rosny, avec le concours de José Larraz. On suit avec angoisse les aventures dramatiques de la blonde héroïne du peuple des montagnes, amoureuse d’un beau guerrier des régions lacustres.

« Eyrimah » d'après J. H. Rosny, , dans le n° 461 (26/03/1961) du Journal de Mickey.

Le n° 565 du 3 avril 1963 propose « La Forêt frémit à l’aube », d’après le roman d’Henri Dalbret, publié dans la collection Le Gibet : une aventure historique romantique, avec la chouannerie en toile de fond.

Retour à la préhistoire avec un nouveau roman signé J. H. Rosny aîné : « Helgvor du Fleuve Bleu », qui débute dans le n° 680 (6 juin 1965) : un récit situé au début de l’âge de bronze, opposant des tribus au sein d’une nature hostile.

« Helgvor du fleuve bleu » d'après J. H. Rosny, dans le n° 683 (27/06/1965) du Journal de Mickey.

Une nouvelle et courte version, en 14 pages, du « Vingt  Mille Lieues sous les mers » de Jules Verne paraît du n° 722 (27 mars 1966) au n° 728.

« Vingt Mille Lieues sous les mers » d'après Jules Verne, dans le n° 724 (10/04/1966) du Journal de Mickey.

À partir du n° 739 (24 juillet 1965), retour au roman historique avec « Arcadius le mystérieux », d’après Charles Torède. Ce récit situé au XVe siècle évoque, en 40 planches, le combat du capitaine Lorenzo Fiabianco, victime des sortilèges d’une pierre aux pouvoirs mystérieux.

« Arcadius le mystérieux » d’après Charles Torède, dans le n° 755 (13/11/1966) du Journal de Mickey.

Deux histoires sont publiées après le décès du dessinateur : « Le Faucon blanc », un western adapté du roman d’Elliott Arnold (« La Flèche brisée »), totalisant 58 pages publiées du n° 788 du 2 juillet 1967 au n° 816. Enfin, à partir du n° 871 (23 février 1968), ce sera « Le Secret de Maupertus », d’après le roman de Stéphane Murat : encore une aventure au temps des chouans, avec pour héros le jeune comte Jean des Angers prêt à toutes les audaces pour sauver la mystérieuse Isabelle.

« Le Secret de Maupertus », d’après Stéphane Murat, dans le n° 881 (04/05/1969) du Journal de Mickey.

L’ultime page dessinée par Jacques Blondeau est publiée dans le n° 890 du 6 juillet 1969. Entretemps, le 14 octobre 1967, ce dessinateur, qui souffrait d’une maladie incurable, s’était donné la mort à l’âge de 43 ans !

« Le Secret de Maupertus », d’après Stéphane Murat, dans le n° 890 (06/07/1969) du Journal de Mickey : dernière page dessinée par Jacques Blondeau.

Illustration pour « La Passion du capitaine Cornill », dans Ici Paris (1961).

Inutile de préciser que le Journal de Mickey n’a pas trouvé utile d’informer ses lecteurs de la disparition de l’un de ses plus brillants dessinateurs.

Pendant ces 20 années passées au service d’un seul employeur, Jacques Blondeau n’a que peu collaboré avec d’autres éditeurs.

Illustration pour « La Passion du capitaine Cornill », dans Ici Paris (1962).

Notons quand même son excellent travail d’illustrateur de romans et de nouvelles dans les hebdomadaires France Dimanche et, surtout, Ici-Paris, tout au long des années 1960.

Illustration pour « Celle qui s’en alla », dans Ici Paris (1963).

Que de jolies filles aux postures impudiques, aux corps artistiquement dévoilés, campées pour le plus grand plaisir des lecteurs.

Il a illustré, dans Ici-Paris, « La Passion du capitaine Cornill » de Pierre Nezelof, « Celle qui s’en alla » de Winston Graham, « La Rédemption du capitaine Vent-en-poupe » de Pierre Nezelof, « Torpillez la torpille » de George Langelaan…

Notons aussi que, dans les années 1960, Jacques Blondeau réalisa de très suggestives couvertures de romans policiers populaires pour les Presses Internationales (sises 7 rue de la Manutention, dans le 16e arrondissement de Paris).

Trois couvertures de romans policiers pour les Presses Internationales.

Enfin, pour l’anecdote, signalons une tentative de collaboration avec Dargaud/Le Lombard au début des années soixante. En 1961, il publie quelques récits authentiques dans l’hebdomadaire Line : « Hector Berlioz » avec Suzy Mathis (n° 318), « La Cloche de Rochenoire » avec Yves Duval (n° 401), « Ella Fitzgerald » avec Pierre Step (n° 321)…

« Hector Berlioz » écrit par Suzy Mathis, dans le n° 318 de Line, en 1961.

Il signe un unique récit complet en quatre pages publié en février 1962 dans le second numéro du mensuel Record : « Maria des fourmis », écrit par Jean Acquaviva.

« Maria des fourmis » écrit par Jean Acquaviva, dans le n° 2 de Record (février 1962).

Illustration pour « La Rédemption du capitaine Vent-en-panne », dans Ici Paris (1965).

Aussi à l’aise dans les récits policiers, les intrigues sentimentales, les aventures historiques que dans les sagas préhistoriques, Jacques Blondeau était un dessinateur instinctif au trait réaliste et précis.

Le souvenir de ses femmes sensuelles et provocantes, aux corps parfaits, demeure encore gravé dans la mémoire des lecteurs de l’époque et ils se comptaient par millions chaque jour.

Peu payé, il devait travailler vite, ce qu’il a toujours fait avec efficacité, sans jamais bâcler son travail.

Comme pour beaucoup d’autres ignorés par les historiens de la BD et boudés par les éditeurs d’albums, les curieux ne peuvent compter que sur les antiquaires ou les vide-greniers pour découvrir, dans les vieux journaux de l’époque, son œuvre importante, malgré une vie trop courte.

 Henri FILIPPINI

 Relecture et mise en pages par Gilles Ratier

(1) Pour lire la première partie de ce dossier, cliquer ici : Jacques Blondeau (première partie) : dessinateur au quotidien….

(2) Sur Le Journal de Mickey, voir sur BDzoom.com : 80 bougies pour Le Journal de Mickey (première partie) et 80 bougies pour Le Journal de Mickey (deuxième partie).

Encore un extrait des bandes verticales réalisées par Jacques Blondeau pour l'agence Opera Mundi.

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