Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Amazonie » T5 : aux confins de l’aventure et du mystère pour miss Austin…
Après « Kenya » et « Namibia », Rodolphe et Leo lancèrent en septembre 2016 un troisième cycle des aventures de l’agent spécial du MI5 Kathy Austin, personnage digne de Lara Croft ou d’Indiana Jones. Ce nouveau cycle trouve son épilogue dans l’actuel tome 5, au menu toujours très complet : la moiteur et les dangers de la jungle amazonienne, une étrange créature humanoïde au corps filiforme, des nazis en fuite, un trésor perdu, des indigènes hostiles et un sous-marin échoué ! En dépit des ficelles inhérentes au genre, cette pentalogie se lira fort agréablement, tant les personnages sont hauts en couleurs et les rebondissements incessants. Parions qu’après l’Afrique et l’Amérique, notre héroïne globe-trotter pourrait aller enquêter en Asie ou en Europe dans les prochaines années…
Pour le Brésilien Leo (né en 1944), le succès se sera fait attendre longtemps : c’est finalement le dessin réaliste, la superbe série western « Trent » (réalisée chez Dargaud sur des scénarios de Rodolphe entre 1991 et 2000) puis le démarrage de la saga de science-fiction « Aldébaran » en 1994 qui assureront la remarquable notoriété de cet auteur. Avec les suites successives d’« Aldébaran » (les 5 tomes des « Bételgeuse » entre 2000 et 2005, les six tomes d’ « Antarès » entre 2007 et 2015, les 5 tomes de « Centaurus » de 2015 à 2019, ces derniers étant dessinés par le Yougoslave Zoran Janjetov), Leo n’a pas chômé depuis une vingtaine d’années, ce d’autant plus que l’auteur démultipliait ses productions. Citons d’abord les nombreuses séries dérivées des « Mondes d’Aldébaran » ou inscrites dans le genre SF : « Terres lointaines » (5 tomes dessinés par le Français Icar de 2009 à 2012), « Survivants – Anomalies quantiques » (5 tomes de 2011 à 2017), « Ultime frontière » (4 tomes dessinés par Icar entre 2014 et 2017), « Retour sur Aldébaran » (deux tomes depuis 2018) et « Mermaid project » (6 tomes dessinés par Fred Simon entre 2012 et 2018). Rajoutons par conséquent à ce long catalogue l’ensemble très aventures – serial composé de « Kenya » (5 tomes de 2001 à 2008), « Namibia » (5 tomes de 2010 à 2015) et « Amazonie », cycles tous imaginés avec Rodolphe et dessinés à partir de 2010 par Bertrand Marchal. Si l’on pouvait reprocher à ce dernier un trait évidement moins assuré que celui de son mentor, force est de reconnaître que dessins, découpage et style ont pris de la vigueur au fil des albums et des cycles, lesquels bénéficient par ailleurs des chaudes couleurs tropicales concoctées par Sébastien Bouët (coloriste notamment sur « Ambulance 13 », « Bourbon Street », « Monument amour » ou « Verdun »).
Avec « Kenya » puis « Namibia », les lecteurs suivirent fébrilement les mystérieuses enquêtes menées à partir de 1947 par Miss Austin, dans une Afrique fantastique dont les ambiances oscillent entre « L’Odyssée de l’African Queen », « Casablanca », « Le Monde perdu » et « X-Files ». Des somptueux paysages sauvages aux ovnis en passant par les animaux préhistoriques, les animaux étranges et les intrigues géopolitiques liées aux contexte de la guerre froide, le spectacle était assuré, porté par sa principale héroïne. Car, il faut bien le dire, avec Kate Austin, Leo et Rodolphe ont imaginé un personnage fort et sensible : une femme de caractère mais non dénué de fragilités, qui sait dénouer le fil des intrigues sans se laisser marcher sur les pieds par les nombreux mâles prédateurs qui lui tournent autour. De plus en plus baroudeuse malgré elle, Austin est devenue la principale incarnation du genre tout au long des couvertures de la série « Amazonie » : en pirogue ou à pied, perpétuellement menacée par un danger imminent (environnement hostile du T1, créature et indigènes pour le T2, chauve-souris géantes et trésor maudit au T3, nazis et explicite tombeau sous-marin aux tomes 4 et 5), Austin voit passer les années (l’action débute en 1949) et les lieux sans que l’axiologie thématique ne soit troublée : bien qu’élément central du récit, elle voit surtout l’ensemble des protagonistes secondaires s’affronter entre Bien et Mal, emportés par leurs haines, leurs vices, leurs soifs de richesses ou de domination. Durant le cycle « Amazonie », l’on prendra en outre un plaisir particulier à suivre les tribulations des divers seconds rôles, aux portraits plus fouillés que d’habitude : le désabusé consul Maugham, le jouisseur révérant Laughton, le vil Reinhardt, l’énigmatique créature, l’improbable diva Eva Schönberg, l’effroyable docteur Hoffman ou l’amusant duo homosexuel composé des Britanniques Clyde et Oscar ; deux improbables voyageurs aux frontières de l’étrange, de Dracula à Roswell !
Jouant précisément des bonnes et mauvaises pistes ainsi que des ressorts fantasmés liés au paranormal ou à l’Histoire (mythe vampirique, énigme extraterrestre, étranges pouvoirs du cerveau humain, pierre météorite maudite, Eldorado et soldats conquistadors rendus fous, or nazi exfiltré par sous-marin jusque en Amérique du Sud), les auteurs très complices s’amusent en conduisant très volontairement leurs lecteurs dans des méandres scénaristiques dignes de ceux serpentant dans le bassin de l’Amazone. De l’embouchure du fleuve à l’épilogue de ce cycle, l’on conviendra que tout se tient habilement mais que bien malin – en dépit de l’usage d’ingrédients éculés… – sera celui qui en devinera à l’avance tous les tenants et aboutissants. Parions néanmoins une chose : les vacances de Miss Austin ne seront sans doute que de courte durée avant qu’elle ne reparte affronter quelques nouveaux mystères surgis des tréfonds des années 1950.
Philippe TOMBLAINE
« Amazonie » T5 par Bertrand Marchal, Leo et Rodolphe
Éditions Dargaud (12,00 €) – ISBN : 978-2-205-08171-8