Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Vie et mort de Toyo Harada » : déconstruction de « l’ère mythe »…
Grand final d’une des séries phare de l’univers Valiant. Le gourou des psiotiques se heurte à la résistance du capitalisme effréné, et sa fin nous est contée par un Joshua Dysart reconnaissant de son accueil en France. Une série impériale.
Il aura fallu finalement assez peu de temps à l’univers Valiant (le nouveau) pour s’installer convenablement auprès des lecteurs français. Depuis 2013 et les premiers formats souples Panini, permettant de découvrir « Bloodshot », « Archer & Armstrong », « XO Manowar », et « Harbinger » – les 14 premiers numéros seulement – et la réédition de ce dernier titre en intégrale par les éditions Bliss, on compte seulement 4 ans. Les derniers numéros des séries en cours ayant cependant privilégiés une forme numérique depuis 2016. Le personnage de Toyo Harada était déjà présent dans le premier numéro « Harbinger », mais c’est surtout au recueil « Imperium » paru en octobre 2017, chez Bliss, auquel nous ferons référence, car ce dernier volume se pose comme une suite directe aux événements qui y sont contés.
Dans cet important volume de 224 pages, contenant les six numéros de cette dernière mini série, Joshua Dysart prend le temps de dévoiler la psychologie de ce personnage haut en couleur qu’est Toyo Harada. Proposant, comme à son habitude, une alternance entre temporalités (ici présent et passé). Il nous détaille l’enfance du jeune garçon et du drame d’Hiroshima, mais aussi son passage, en tant que jeune adulte, dans une communauté pacifique qu’il contribue à fonder. Cet homme qui se cherche, d’abord dépassé par ses pouvoirs, qu’il tente de contrôler au fil du récit – à l’inverse de son caractère -, va tout faire pour construire un monde meilleur, malgré les oppositions qui se font jour.
En effet, comment différencier un être tout puissant, aux bonnes intentions, d’un dictateur, imposant sa vision du monde ? Alors qu’il est en passe de réaliser l’un de ses projets : atteindre la ceinture de débris extraterrestres, qui lui permettrait d’obtenir davantage de technologie de pointe, via l’ascenseur spatial construit en République Démocratique du Congo, par un des éléments de son équipe sur place, l’enveloppe Angela, en fait une entité extraterrestre, finit par s’opposer à lui. Celle-ci, jalouse, le trahit et contacte Rising Spirit, leur donnant les clefs de l’invasion de la base. L’heure des bilans a sonné et chacun devra assumer ses actes.
…La fin d’un mythe ?
Dans son avant-propos, le scénariste explique comment il a pris le temps de réaliser ce final, abordant, et on le ressent bien à la lecture, les thèmes qui lui sont chers : empathie, pouvoir, volonté, amour, abnégation, sacrifice, mais aussi : écologie, avancées technologiques, intelligence artificielle, conscience de soi, libre arbitre (pour le robot Sun in the Snow, Gravedog, le tueur Vigne SV99, voire Ingrid). Surtout, celui-ci explique combien il est reconnaissant aux éditions Bliss et à Florent Degletagne, son responsable, de lui avoir montré autant de confiance et offert de si beaux moyens éditoriaux. Il faut reconnaître qu’en l’espace de 3 ans seulement (2017-2019), les éditions Bliss ont su imposer un catalogue riche et des ouvrages de très grande qualité, que personne n’aurait pu imaginer ou croire possible. D’ailleurs, partant de ce principe de réciprocité, on notera une traduction réalisée exceptionnellement par Florent Degletagne lui-même sur ce volume. Une implication « au-delà de », presque psiotique. Quant aux dessins, le lecteur est gâté, car au-delà des pages produites par Cafu (Fernadez Urbano), que l’on a déjà pu apprécier sur les séries « Book of Death », « Divinity », « Ninjak », « Imperium »…, une poignée d’autres artistes participent à l’illustration de la narration. Mico Suayan sur la fin du numéro 1, puis Butch Guice sur le 2, Adam Pollina sur le 3, Diego Yapur sur le 4, Kano sur le 5, puis, apothéose : l’incroyable Doug Braithwaite, dans huit pages fascinantes du numéro 6, que l’on ne dévoilera pas ici.
Ce « Vie et mort de Toyo Harada » concluant un long chapitre, et donc une « ère Harada », se pose comme un ouvrage essentiel de ce catalogue, mais aussi, avec « Imperium », comme l’un des titres phares de ce renouveau comics alternatif dont on parle sans cesse sur ce site. La science-fiction et le Space Opera restent certes la base de l’univers Valiant/Bliss, mais celui-ci aborde cependant énormément de thèmes qui parleront à l’ensemble des êtres humains que nous sommes. Aussi, il ne fait aucun doute que ce genre d’album fera partie des incontournables de toute bibliothèque comics qui se respecte.
Franck GUIGUE
« Vie et mort de Toyo Harada » par Cafu, Mico Suayan, Butch Guice… et Joshua Dysart
Éditions Bliss comics (23 €) – ISBN : 978-2-37578-190-6