On vous a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la saga ébouriffante, délirante et jubilatoire « The Kong Crew » d’Éric Hérenguel… (1) Or, voilà que les éditions Caurette sortent une très belle intégrale de luxe de la trilogie (224 pages, dans sa version originale en noir et blanc grisé et en français) : une incroyable épopée hommage aux comics, aux pulps et aux vieux films fantastiques des fifties ! Ceci alors que le tome 3, cartonné et en couleurs, vient aussi à peine de paraître chez Ankama… La totale en noir et blanc ou les trois volumes en couleurs, vous avez donc le choix ! L’essentiel étant de ne pas passer à côté de ces aventures follement drôles, débridées et imaginatives, sous couvert de fable épique et écologique !
Lire la suite...« Cité irréelle » par D.J.Bryant : que de belles choses bizarres…
D. J. Bryant est un auteur américain quadragénaire originaire de Raleigh (Caroline du nord), ayant cependant passé l’essentiel de son adolescence à Chugiak en Alaska. Il a jusqu’à présent surtout composé de courts récits pour les revues Cinema Sewer, Mome et The Stranger, son premier : « The Steelcharge Horsecap » ayant été publié dans l’anthologie de Danny Hellman « Typhon » en 2008. Ce premier recueil, paru il y a deux ans aux États-Unis, permet de découvrir un artiste doué, aux questionnements inquiétants.
« Citée irréelle » regroupe cinq récits créés durant une période de presque dix ans : « Echoes into Eternity », « Evelyn Dalton-Hoyt », « Emordana », « La rétrospective Yellowknife » et « Objet d’art ». La première nous emporte dans l’histoire amoureuse de la belle Nadya, une amourette déçue, et fantasmagorique, en forme de boucle, qui va donner le ton de tout l’album. D.J Bryant aime en effet tromper son monde et va revenir à quatre reprises sur des thèmes basés autour de l’amour, du sexe, et des relations sociales, en y ajoutant les ingrédients de la séduction, de la tromperie, du pouvoir, du harcèlent, de l’humiliation, du fantasme et du manque d’amour (ou de l’amour impossible).
La première chose frappant à la lecture des planches de l’auteur, c’est son dessin. Ample, fluide, précis, délicatement encré, et abordant le travail du trait de la même manière que son aîné Daniel Clowes, il s’inscrit complètement dans cette « école » alternative issue des fanzine’s du début des années 90, mais apportant néanmoins une touche de délicate précision supplémentaire, que l’on notera par exemple, dés le premier récit, dans les éléments de décor (tapisserie, bâtiments), et sur les vêtements (les motifs floraux de la robe de Nadya).Ensuite, à l’occasion de la seconde histoire : « Evelyn Dalton-Hoyt », parue dans le numéro 22 de la revue Mome, et mis à part le parallèle encore fort avec la schizophrénie des personnages, typique de l’univers Clowsien (voir : « Comme un gant de velours pris dans la fonte »), c’est l’aspect pornographique « Soft » qui surprend, même s’il arrive là comme une sorte d’évidence. Il est surtout dessiné de façon hyper sexy et agréable à regarder. L’auteur a cependant suffisamment de ressources pour faire rebondir son récit, et offrir au lecteur bien autre chose qu’une simple histoire de cul.
D’ailleurs, « Emordana », sous-titré : « L’inflexion du néant sur le cortex visuel » le clarifie en allant plus loin dans le psychédélisme, à l’aide des 20 pages les plus étranges et obscures du recueil. « La rétrospective Yellowknife » change de style, en abordant une histoire de boucle temporelle au sein d’un musée, avec un registre graphique dans l’esprit des cartoons d’Archie comics. La couleur est d’ailleurs de mise, et cela ne fait que renforcer la correspondance (l’hommage ?) au précédent auteur déjà cité, dont les expériences de ce genre dont aussi bien connues, même si le dessin ici, rappellera davantage celui d’un Peter Bagge.
Enfin, « Objet d’art » avec ses 31 pages, se pose comme le plat de résistance de l’album, et nous entraîne à nouveau dans les méandres amoureux croisés de deux jeunes gens : Leon Lydell, dessinateur de comics, et Élise. À moins que ce ne soit Ned et Blanca Lagos… Une impressionnante et vertigineuse mise en abîme, réalisée de main de maître, par un auteur dont on ignorait tout du potentiel. Espérons simplement que l’on pourra le relire, à l’occasion, sur d’autres histoires, sortant peut-être du cadre de la « boucle » qui lui semble chère, tout en gardant la même saveur.
Superbe découverte en tous cas, à mettre encore une fois au crédit des éditions Fantagraphics et Tanibis !
Franck GUIGUE
« Cité irréelle » par D.J.Bryant
Éditions Tanibis (20€) – ISBN : ISBN : 978-2-84841-052-4