« Jupiter’s Circle » : le cercle vicieux de l’oppression…

Avec « Jupiter’s Circle », Mark Millar offre un préquel, dans un style vintage assumé, à sa célèbre série « Jupiter Legacy », paru chez Panini comics en deux tomes en 2016 et 2018. Racé esthétiquement, et politiquement incorrect, c’est une réussite pointant les travers d’une époque révolue, pouvant néanmoins nous apparaître très contemporaine, sur certains aspects.

Les super-héros ne sont plus ce qu’ils étaient. Quelques auteurs de génie nous l’ont démontré depuis les années quatre-vingt, avec les titres réputés « Watchmen » (Alan Moore), ou, un peu moins connu : « Brat Pack »(Rick Veitch). Les années quatre-vingt dix/deux mille ont cependant produit quelques belles réussites, présentant les rares travers du genre, et l’on pourra citer, de manière non exhaustive : « The Cape » (Joe Hill, Gabriel Rodriguez), ou encore « A God Somewhere » (John Arcudi). Cependant, s’il est un auteur qui a étudié de façon quasi systématique la psyché de ces personnages aux supers pouvoirs, c’est bien Mark Millar.

1959 : « l’année où le Rock est mort ». La ségrégation a encore quelques beaux jours devant elle, et, côté comics, nous sommes dans une période de transition avec la fin du Silver Age et des récits d’horreur, ainsi que l’arrivée tonitruante prochaine des « Teenage Stories » de Marvel. Les super héros sont encore majoritairement publiés par DC comics, mais ceux présentés ici ressemblent d’avantage à une équipe de l’éditeur Charlton. Si Blue Bolt, Lady Liberty, Brain Wave, SkyFox, et Flare, assument, en bons citoyens, leur job, ils restent cependant « humains », et doivent faire face à certains problèmes « terre à terre » : fierté mal placée, sentiment de toute puissance, soucis de couple, ou encore homosexualité. Si assurer la sécurité du monde demeure leur crédo, travailler en équipe (le fameux « cercle de Jupiter ») et garder leur indépendance, malgré les appels du pied du gouvernement, reste compliqué. Jusqu’à quel point ?

Au long des douze épisodes de « Jupiter’s Circle » (Book One & two), Mark Millar se fait plaisir et nous fait plaisir. Cette description de la fin d’une décennie à l’aube de nombreux bouleversements (assassinat de Kennedy, crise de Cuba, droits civiques…) est réalisée avec finesse, magnifié par les planches délicieusement vintage de Wilfredo Torres, rappelant le regretté Darwyn Cooke. Lui qui a montré son talent sur les titres « Batman 66 », (Panini comics) « Lobster Johnson », (Delcourt), « Shadow Year One » (en VO) ou encore « Quantum & Woody » (Bliss comics) était tout indiqué pour rendre cette ambiance à la fois tendue et si propice aux super héros, même si Davide Gianfelice assure une autre partie du travail, avec autant de finesse. Le scénariste intègre au passage parfaitement l’aspect sombre de ces années là, et le pointe entre autre à l’occasion du chantage exercé par le directeur sadique du FBI John Edgar Hoover sur le personnage de Bluebolt (docteur Conrad dans la vie civile) afin de déstabiliser l’équipe entière. Une manière d’aborder COINTELPRO (Counter Intelligence Program), programme de contre-espionnage  ayant sévît de  1956 à 1971 et qui avait pour objectif d’enquêter sur et de contrer les organisations politiques dissidentes aux États-Unis.

Il y a un peu du film des « Indestructibles » dans ce « Jupiter’s Circle », (un côte souple et virevoltant, évoquant des années de relative insouciance), tout comme un peu de la ferme de « Black Hammer » (Jeff Lemire, Urban comics), avec son aspect « organisation coincée », comme dans une chape de métal (un étau?). Le mélange savant entre action, réflexion et pur fun est définitivement la patte d’un grand auteur. Aussi, nul doute que ce titre, licencié : Millar Wolrd/Netflix, fera très bon effet sur petit écran.

Les couvertures des grands Franck Quitely et Bill Sienkiewicz, bonus appréciés, suggèrent un ton un peu plus sombre à l’ensemble, et sont accompagnées, sur quelques chapitres, des participations bienvenues des artistes : Davide Gianfelice, Chris Sprouse, Rick Burchett, Ty Templeton et des encreurs : Francesco Mortarino, Walden Wong et Karl Story. « Jupiter’s Circle » se lit d’une traite, avec avidité et jubilation. La marque des bons comics.

Franck GUIGUE

 

« Jupiter’s Circle » par Mark Millar, Wilfredo Torres, Davide Gianfelice
Éditions Panini comics (28 €) – EAN : 978-2809478099

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