Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Mieux vaut Soupetard que jamais : une nouvelle intégrale…
Débutée en 1992 suite à une prime rencontre angoumoisine entre Éric Corbeyran et Olivier Berlion, « Le Cadet des Soupetard » s’enrichira de sept grandes aventures et trois hors-séries jusqu’en 2004. Avec son jeune héros attachant, le pittoresque des atmosphères rurales d’antan, son école des années 1930 – 1950 et ses intrigues policières savoureuses, « Le Cadet des Soupetard » distille une ambiance sans égale. À la veille des vacances d’été, Dargaud a la judicieuse idée de republier le premier tome de l’intégrale de ce classique, rassemblant les quatre premiers albums : entre camping, vacances à la mer, envol de papillons et chocolat chaud, voici de quoi replonger avec bonheur dans l’univers délicieux de l’enfance…
« Le Cadet des Soupetard », c’est d’abord un jeune héros de sept ans et demi, sans prénom mais possédant un inséparable compère lapin, Cerfeuil. Aux côtés de sa sœur Brigitte ou de son grand frère Pierrot, Soupetard ne brille pas à l’école mais a naturellement le chic pour se retrouver confronté aux énigmes, vols et autres trafics de sa région. Entre déambulations à travers champs, dialogues avec d’improbables personnages (dont Louche, la vieille marchande de bonbons ambulante, « Jambe d’âne » le jardinier ou Anatole, spectre errant et pleurant son amour de jeunesse), dialogue amoureux avec Élodie (la fille des châtelains) et expéditions nocturnes destinées à éclaircir le mystère, notre héros ne tardera pas à faire valoir toutes ses capacités. Comme l’illustre la couverture concoctée par Berlion pour cette nouvelle intégrale, le cocktail culottes courtes – enfance – ambiance bucolique et animalière – compose l’arrière-plan, volontiers naïf et idéalisé d’une série qui emprunte savamment à Jules Renard (« Poil de Carotte », 1894), Marcel Pagnol, Louis Pergaud (« La Guerre des boutons », 1912), Pierre Very (« Les Disparus de Saint-Agil », 1935) et Enid Blyton (« Le Club des cinq », 1942 à 1963). Le charme suranné de la série (que l’on pourrait imaginer avoir été initiée chez Dupuis), pourra également rappeler d’autres titres ou sagas faisant la part belle au merveilleux issu de l’enfance et de la nature, et laissant souvent la place (non sans humour) au polar ou au fantastique : « La Patrouille des Castors » (Charlier et MiTacq, 1954) « Broussaille » (Frank Pé, 1978) ou « Jojo » (André Geerts, 1983).
Premier volume du « Cadet des Soupetard », « La Louche » (paru en mars 1993) conduit le héros à résoudre un vol d’argenterie survenu dans le domaine des de La Mare. « Vous avez trop d’imagination ! », dira-t-on par deux fois (planches 1 et 2) à ce gamin que l’on voit – ou imagine…- cependant très bien descendre dans la nuit le long d’un grand tilleul de sa chambre mansardée, afin de mieux cerner les mensonges et les réalités du monde adulte. Dans cet univers, le suspense et le conte laissent momentanément s’installer des personnages grotesques, difformes ou potentiellement monstrueux (Rafagnan, « qui dévore les enfants » ; Louche, terrifiante sorcière jugée apte à faire bouillir le lapin Cerfeuil), sujet que les titres de la série soulignent volontiers par ailleurs (voir par exemple le T6 : « Sous l’aile du Diable » en 1999). Rien de plus logique finalement quand on sait que le terme « Soupetard » désigne en occitan le croquemitaine ! Pour autant, c’est précisément le cheminement de Soupetard, son enquête déductive, ses rencontres et ses amitiés (dont Millemouches, antagoniste devenu copain) qui permettront – avec ou sans l’aide de Cerfeuil ! – de lever les lièvres. Au sens littéral, récit initiatique, découvertes et Histoire ne font souvent qu’un dans la série : pour le tome 2, « La Boucholeuse » (janvier 1994), c’est bien l’histoire tragique de la fiancée d’Anatole, disparue durant les années 1930 dans la baie de l’Aiguillon, qui alimente l’intrigue et permettra de lever le brouillard fantasmatique instauré au creux des âmes. Pour cet album, c’est l’ambiance Atlantique (port vendéen et océan, pêcheurs de moules, sables et bouchots) qui est convoquée, sur un mode rappelant là encore l’inscription de l’enfance dans un lieu-clé (la forêt, la ferme, le château, le camping à la belle étoile (T3) ou la fête foraine, cadre d’une longue séquence du tome 4). Sur un mode avoisinant, observons que les aventures s’enchaînent chronologiquement : « La Louche » se déroule le jour de la sortie des vacances d’été, « La Boucholeuse » évoque les bals du 14 juillet, « L’œil de vitre » (T3, octobre 1994) se situe fin août et l’introduction de « L’Arbre de Pierrot » (T4, avril 1995) raconte la rentrée des classes, début septembre. Les tomes suivants poursuivront la logique de ce calendrier rapproché.
Né à Lyon en 1969, Olivier Berlion parfait son style et ses cadrages au tournant du tome 3 en 1994, ce dans la mesure où angles de vue, détails et composition des personnages installent la patte d’un auteur sûr de son art. Pour l’occasion, l’album fait la part belle aux préjugés et faux-semblants (les gitans, le taxidermiste, etc.), nul (animaux empaillés compris) n’étant tout à fait ce qu’il est ou prétend être. Ne négligeant ni l’émotion ni le récit évolutif des relations familiales (Soupetard ayant perdu ses parents), Éric Corbeyran renforce subtilement la série au fil des épisodes, conférant dès lors à « L’Arbre de Pierrot » (T4) un statut plus complexe que les aventures précédentes : rattrapé par le temps et l’amertume, Soupetard tente en parallèle de percer les secrets de son grand-frère Pierrot, fiancé à la belle Damienne. Tel un révélateur des véritables enjeux, il n’y aura nulle trace ici d’enquête policière, hormis celle entreprise par le garde-champêtre local à l’encontre d’hypothétiques braconniers. Sur la grande roue, une vie se déroule d’une époque (celle de la France de la 4e République) vers une autre, entre rêves et regrets, chagrins et espoirs. Avec Soupetard, « on verra bien demain » (voir page 203 de la présente intégrale), sachant que mieux vaut (lire) le « Cadet des Soupetard »… que jamais. >
Philippe TOMBLAINE
« Le Cadet des Soupetard : Intégrale T1 : » par Olivier Berlion et Éric Corbeyran
Éditions Dargaud (19,99 €) – ISBN : 978-2205081947