« Lyon BD 2019 : la BD se déchaine… »

14ème édition pour le festival de la capitale des Gaules, qui a redispatché les différents lieux de l’évènement pour cause de nombreux travaux au cÅ“ur de la ville. Petit retour personnel et non exhaustif sur un dimanche très pluvieux, mais enrichissant, une fois encore…

Le festival cette année ne se situait plus place des Terreaux et à la place des bulles on pouvait juste se heurter à un ensemble de grilles, relatif au chantier en cours. Avant de pénétrer au sein de l’hôtel de ville, dont une partie était encore dédiée à quelques ateliers jeunesse et séances de dédicaces (Bill Thompson, entre autre), direction le Mac (musée d’art contemporain), à la cité internationale, pour l’exposition « Walking Dead et au-delà » et une rencontre avec Charlie Adlard, son dessinateur.

Une trentaine de personnes tout au plus ce matin-là, pour le vernissage de l’exposition, ce qui était étrange, eu égard à la renommée de la série de Zombies AMC et du comics Delcourt. Tant mieux, pourra t-on se réjouir, car Charlie Adlard, qui était là pour expliquer son oeuvre, était par conséquent très disponible et chaque amateur a pu poser des questions (en anglais) et prendre part à une séance de photo/dédicace très agréable. Sans doute le concert dessiné vendredi soir au Transbordeur avait-il attiré davantage de spectateurs. Au MAC, plus de 140 dessins étaient présentés dans une salle immense, dans laquelle on entre par deux antichambres : une petite où est diffusée un film interview de l’auteur, expliquant sa technique de dessin numérique, une autre plus vaste, en guise de salon de lecture, où une vitrine permet de se rendre compte de la durée de la série de zombie (31 volumes français à ce jour!), mais aussi de ses autres publications, la plupart aux éditions Delcourt, dont la moins connue : « Astronauts In Trouble », récit SF daté 2017.

Des crayonnés déjà très poussés...

Pas de scénographie dans la salle principale, mis à part un écran géant diffusant un dessin en train de se faire, et sinon,
un accrochage de dessins originaux grand format des éditions Image, et, pour « Walking Dead », un encrage en vis à vis de Stefano Gaudiano. On a en effet pu parler de l’encrage particulier et reconnaissable du dessinateur, réalisant un noir et blanc onctueux, mais il faut préciser que ce dernier a laisser ce travail pour les dix ans de la série, après le numéro 114 original. Stefano Gaudiano, très doué, respecte cela-dit plutôt bien le travail du dessinateur.

Charlie Adlard n'est pas l'auteur que d'une seule série...

 Il est néanmoins intéressant de voir les différences entre le crayonné très poussé de Charlie Adlard, et l’encrage. Les autres dessins, des reproductions grand format noir et blanc, encrés par l’auteur, permettaient de se régaler de détails sur les séries francaises « La Mort Blanche » « Codeflesh »,
« Coeur de Pierre » ou « Vampire State Building », ainsi que deux études de nu en couleur.

L’exposition est à voir jusqu’au 07 juillet.
https://www.lyonbd.com/festival-in/evenements/du-7-juin-au-7-juillet-2019-charlie-adlard–walking-dead-au-dela/

 L’après-midi, direction la bourse du travail, où se trouvait le cœur du festival, avec un rez de chaussée réservé aux éditeurs et auteurs, même si de très nombreux autres lieux excentrés assuraient leur part de l’offre. A l’étage de ce grand bâtiment sur plusieurs étages : les expositions sur la BD chilienne, « Plan à 3 : la bande dessinée francophone européenne », et «Révolté-e-s, rebelles et hors la loi », dédiée aux sérigraphies de l’éditeur La Poule rouge.

Je ne saurais que trop vous conseiller de vous rendre à Lyon jeter un œil (et des oreilles) à l’exposition « Plan à 3 : la bande dessinée francophone européenne », située à l’étage, ne serait-ce que pour récupérer le superbe livret édité à l’occasion. Ce 100 pages co édité par les producteurs de l’exposition : LyonBD, le centre Wallonie-Bruxelles, Fondation pro Helvetia et la région Rhône-Alpes est une publication rigoureuse et de qualité sur l’état de la bande dessinée dans cette « région ». Divisé en chapitres, comme l’exposition (« hommages, continuations, évolutions, alternatives, cartes et statistiques »), cette étude permet de jeter un regard neuf et très pertinent sur les scènes bédéphile française, belge et suisse actuelles. L’occasion d’interviews, d’hommages dessinés du meilleur cru, et d’analyses, où l’on remarquera entre autre l’utilisation des statistiques de notre collègue Gilles Ratier, d’ACBD. Un incontournable pour tout amateur du médium !

Sur les coursives, l’exposition «Révolté-e-s, rebelles et hors la loi », permet de se régaler des sérigraphies de l’éditeur La Poule rouge, que l’on avait déjà eu l’occasion de mettre en avant ici, à l’occasion du LyonGameShow (1). Cette série de 30 sérigraphies a été éditée avec le thème des bandits célèbres, et propose de superbes illustrations, par des grands noms, tels : Charlie Adlard, Chauzy, …
http://lezebre.info/revoltees-rebelles-et-hors-la-loi-de-la-poule-rouge/

Enfin, quelques panneaux étaient consacrés à la bande dessinée Chilienne.
Une immersion simple mais éducative sur une Bd ayant connu quelques aléas, on s’en doute, et restée peu connue du grand public français dans son ensemble. Même Condorito, le pus célèbre des héros chilien de BD, fête cette année ses soixante ans, mais on regrette encore sa non traduction. Peut-être un film 3D, annoncé en 2017 permettra de faire connaissance avec ce petit condor symbole ?…
https://lepetitjournal.com/santiago/actualites/santiagoculture-condorito-le-condor-quon-adore-15104

Ce fut aussi l’occasion de la découverte des éditions Rue de l’échiquier, qui fêtent pourtant leur dix ans. Cette structure parisienne propose depuis seulement deux ans un département bande dessinée, et la petite dizaine de titres au catalogue offre une vision très ouverte du médium. J’ai particulièrement repéré les titres étrangers des auteurs Park Kun-Woong « Mémoires d’un frêne », Kaya Takada : « je suis née dans un village communautaire », Justin Wong : « Je préfèrerais ne pas », Alison McCreech : « Ramshacle », et Hyacintus, artiste spécialiste de gravure et de l’estampe, signant sa première bande dessinée avec  : « Les Cosmongoniales » . (http://www.ruedelechiqiuer.net)

A côté : les éditions Otium et Nada.
Quelle découverte ! Les festivals servent à cela, on le sait, mais il est toujours très agréable de se voir surpris par des publications mêlant engagement dans le fond et la forme. Une discussion rapide sur le stand avec l’un des responsable permet de révéler les superbes ouvrages, parus pour certains depuis 2012, que sont : « El Djazaïr », par Luis Garcia Mozos, célèbre dessinateur espagnol connu des lecteurs de Bdzoom, entre autre pour ses superbes planches noir et blanc charbonneuse de Vampirella, (disponibles chez Délirium), ou quelques albums dans la collection Pilote (dont « la Mort de l’indien »). C’est à la librairie engagée Envie de Lire d’Ivry-sur-Seine et aux éditions ici-même (co éditrices) que l’on doit cette bande dessinée consacrée à l’histoire de la longue marche vers l’indépendance de l’Algérie, parue initialement en espagnol en 1979 sous le titre Argelia.

Cette réédition augmentée de toute beauté, de 2012, offre en bonus une affiche, un entretien avec Luis Garcia Mozos réalisé par Raùl Mora, des portraits et des biographies, des « notes en images » des principaux évènements et les contributions du dessinateur Farid Boudjellal, de l’écrivain Abdel Hafed Benotman, du chanteur Salah Amokrane, du groupe Zebda, ainsi qu’une bibliographie.

« Bohemians : une histoire graphique des avant-gardes artistiques aux états-unis » (2016) me paraît aussi un incontournable. Illustré par les principaux représentants de la bande dessinée underground américaine (Peter Kuper, Spain Rodriguez, Sharon Rudahl, Jeffrey Lewis, etc.) et coordonné par Paul Buhle (Une histoire populaire de l’empire américain) et David Berger, « Bohemians est le récit foisonnant et passionnant des élans rebelles qui ont traversé l’histoire culturelle des États-Unis aux XIXe et XXe siècles ».

On peut dire un peu la même chose de
« Wobblies : Un siècle d’agitation sociale et culturelle aux États-Unis », (2019), par Paul Buhle & Nicole Schulman, avec les dessins de : Harvey Pekar, Peter Kuper, Mike Konopacki, Trina Robbins, Seth Tobocman, Jay Kinney, Sabrina Jones, Jeffrey Lewis, Sharon Rudahl, etc. Un ouvrage grand format carré, sur l’Industrial Workers of the World (IWW), le mouvement le plus radical de l’histoire des États-Unis. Les hommes et ces femmes qui en ont fait partie, pionniers de la contreculture américaine, étaient connus sous le nom de Wobblies.

Enfin, et pour ne pas citer tout le catalogue, parlons des deux autres nouveautés : « Les Années Allende », (juin 2019) par Carlos Reyes et Rodrigo Elgueta. Ce superbe grand format décrit les fameuses années de ce gouvernement transitoire chilien, dans un noir et blanc de qualité, sous une couverture de Philippe Bretelle. L’occasion de rappeller l’existence d’un autre ouvrage, traitant du chili avant Allende, paru chez Steinkis en 2017 : « Là où se termine la terre » de Désirée et Alain Frappier.

Quant à « Même si c’est la nuit  », de Kamel Khélif, (avril 2019) il s’agit d’un magnifique ouvrage, aux techniques mêlant photographies, lavis, dans la veine de ce que l’on peut trouver aux éditions Frémok, où l’auteur a d’ailleurs débuté. Comme l’écrit le site Hobo diffusion : « Imaginez Goya et Istrati ou Grosz et Cavafis qui s’emparent du 9ème art. Si ça devait porter un nom, nul doute que ce serait Kamel Khelif.»

https://www.nada-editions.fr/

 

Les jeunes québecois de Pow Pow éditions étaient pour leur part là pour la première fois, et si vous êtes intéressés par la bande dessinée alternative et indépendante de nos cousins d’outre Atlantique, vous avez désormais un autre bonne adresse ! Là encore, on se reportera au site web, mais je vous recommande chaudement ces titres, que j’ai particulièrement apprécié de feuilleter :
« Longs cheveux roux », de Meags Fitzgerald, « Les premiers aviateurs », par Francis Desharnais et Alexandre Fontaine Rousseau, « Moi aussi je voulais l’emporter » de Julie Delporte, « 23 h 72 », par Blonk…
https://editionspowpow.com/

Pow Pow : cousins du Québec

Etienne Davodeau, que l’on aime beaucoup, était aussi en dédicace sur le stand Futuropolis, pour signer son dernier recueil d’histoires courtes : « L’Avancée des travaux », paru en 2018. Une vision toujours très acérée et juste sur le monde qui nous entoure…
D’autres éditeurs étaient présents, dont les amis stéphanois de Jarjille, ou Lyonnais de Tanibis, avec des titres toujours intéressant et défricheurs. Je survole… Guettez leurs catalogues.

Un retour rapide à l’hôtel de ville a permis de constater la longue queue qui s’était constituée devant le dessinateur des Simpsons : Bill Thompson, et de voir aussi le beau volume, onzième du nom, de « Bermuda ». Ce recueil, édité par la librairie Expérience, en crowfunding depuis sa précédente édition, est l’entrée obligatoire pour connaître la scène BD lyonnaise. Sous une superbe couverture de Lewis Trondheim cette année, nul doute que ce « short long » saura vous séduire…

« 1914-18 : la vie à l’arrière »
Au rez-de chaussée, une autre équipe locale oeuvrait à plein régime, grâce à ses nombreux numéros déjà parus, je veux parler bien sûr de l’Épicerie séquentielle, sise à Caluire, mais dont les publications bien connues sont imprimées à Lyon. Autour du vrai faux stand d’épicerie ambulante qui avait été achalandé de vrai fausses boites de conserves, mais de vrais journaux Les Rues de Lyon, se dévoilait à nos yeux les précédents numéros, délicatement éparpillés sur un îlot central. A leurs côtés s’étalaient d’autres numéros un peu particuliers, et divers fac similés datant 1914-1918. Quoi j’avais loupé ce tour de force en fin d’année dernière ?

Explications : Edouard Herriot, maire de Lyon à l’époque de la grande guerre avait fait établir un fond spécifique d’archives de toutes les publications liées au conflit, et géré par la bibliothèque de LyonParDieu. Une fois le conflit terminé, ce fond tomba cependant dans les oubliettes, jusqu’à ce qu’un chercheur féru de cette époque découvre le « pôt aux roses ». Il n’en fallu pas plus à l’éditeur BD activiste lyonnais pour s’emparer de la chose, à l’occasion du centenaire de la grande guerre, et d’imaginer ce projet (presque) fou : proposer une série de six numéros des Rues de Lyon, entièrement dédiés à l’époque, vue de la capitale des Gaules, et agrémentés de divers fac similés tirés des archives. Le tout emballé dans une superbe enveloppe papier kraft dessinées par Christophe Fournier. Et hop ! Au final, tiré à 3000 exemplaires, ce petit collector est devenu la coqueluche des festivaliers, enfin, pour moi au moins. Si vous voulez votre exemplaire, ne tardez pas trop !
https://www.epiceriesequentielle.com/actu/lyon-14-18-la-vie-a-larriere/

La fin de journée a été dédiée au spectacle de concert dessiné, donné au théâtre de l’Odéon, autour de l’album de Reinhard Kleist : « Nick Cave : Mercy on me », paru en 2018 chez Casterman. Auteur allemand primé (entre autre trois fois du Max undt Moritz, dont meilleur auteur germanophone), Reinhard Kleist a produit en 2014 à Lyon BD son tout premier concert illustré, à l’occasion de la parution de son album « Cash ». Cinq ans plus tard, et après plusieurs concerts illustrés à travers le monde, il réalise une performance inédite et unique aux côtés de Stéphane Balmino et David Suissa autour de son album mettant en lumière la vie du chanteur auteur interprète australien Nick Cave.

Sur la petite scène du théâtre plein à craquer, l’auteur a réussi la performance de dessiner une illustration complète, en lien et dans le timing d’une chanson du compositeur, interprétée par nos deux francais en live. Stéphane Balmino, au chant et à la guitare électro acoustique a su donner des interprétations nerveuses et fidèles d’une demi douzaine de classiques du rockeur, dont un superbe « Tupelo » en ouverture ou la délicieuse « Where The Wild Roses Grow », tandis que David Suissa accompagnait aux synthés, bruitages et guitare électrique. Une heure de pur bonheur. Le dessinateur, au final, a remercié le public très réceptif présent, en proposant à la vente ses originaux, dont le produit éventuel irait à une cause de défense des océans.
Chapeau les artistes !

Photo : Flora Guigue

Une petite exposition de reproduction d’affiches de Bill Thompson était disposée dans le bar du théâtre, afin de se rappeler que le dessinateur des Simpsons a débuté dans l’illustration d’affiches de films, entre autre. Il est aussi à l’honneur du journal « of » du festival : Le Bouchon déchaîné, édité par Lyon capitale. Ce seize pages grand format propose non seulement une ribambelle de dessins de tous les dessinateurs invités dans le fameux bouchon « Le Musée », quartier Cordelier sur la presqu’Île, mais aussi d’autres, réalisés par les dessinateurs menés par Willem à l’occasion de la conférence donnée dans le cadre des 2eme rencontres du dessin de presse au théâtre de la croix Rousse. Une interview copieuse de Bill Thompson et une présentation de dix-neuf auteurs présents sur le festival conclu ce must-have.

Une édition certes un peu pluvieuse et en chantier, mais pleine de promesses tenues. Et je n’en ai encore vu qu’une toute petite partie. Bravo aux organisateurs !

Franck GUIGUE

Toutes photos : © F Guigue, sauf ou indiqué

(1) Lire : http://bdzoom.com/133803/actualites/%c2%ab%c2%a0la-societe-des-comics%c2%a0%c2%bb-convoquee-a-la-comic-gone%c2%a0-cetait-le-week-end-du-21-septembre-a-lyon%e2%80%a6/

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