Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Vietnam Journal » : une série qui accroche !
Plus fort que le vrombissement des Hueys sur le Mékong, moins va-t’en-guerre que « Sergent Rock » ou « Les Losers », mais dans la droite lignée du « Ernie Pike d’Hugo Pratt, voilà enfin en français les épisodes de Don Lomax sur son expérience au Vietnam. Du vécu, et une découverte graphique importante.
Don Lomax a débuté en 1979 dans la revue Heavy Metal. Il dessine pour diverses revues, dont Cavalier et Hustler Humor, l’anthologie  Anything Goes ! des éditions Fantagraphics, fournit du matériel pour la revue Twisted Tales de  Pacific Comics et des compléments chez First Comics, tels  American Flagg!, Starslayer, ou The Black Flame. Il est mobilisé en 1965 et intègre à l’automne 1966 la 98eme compagnie de maintenance légère au Vietnam, où il va continuer à dessiner ce qu’il vit. En 1987, après avoir fourni des travaux pour Warp Comics ( « Captain Obese »), ceux-ci sont récupérés par Apple comics, qui lui donne l’opportunité de travailler sur « Vietnam Journal ». Ce sera l’occasion d’écrire de nombreuses autres séries consacrées à son expérience militaire.
Dans « Journal du Vietnam », l’auteur se met dans la peau d’un protagoniste. Et s’il n’est pas directement incorporé sous son nom, mais celui de Scott Neithammer, journaliste, cela le place quand-même au cÅ“ur du quotidien des bidasses. Scott « Journal » Neithammer, tel qu’il se fait appeler, accompagne certaines unités sur le terrain. On le suit dans cinq épisodes : « la vareuse », « les chiens de guerre », « terre brûlée », « oiseaux de proie », « le blues du 5,56 ». Débarqué de l’aéroport de Saïgon en direction de Pleiku, il va cohabiter dans le camp 267 et suivre les commandos dans leurs missions, à pied, en camion et en hélicoptère, les fameux Hueys, armés jusqu’aux dents.Qu’il raconte une histoire plus ancienne (« La Vareuse ») ou qu’on le suive en direct dans la jungle, alors que, tel le civil qu’il est, il se perd et échappe au pire (« Les Chiens de guerre »), qu’il témoigne des méfaits d’un réalisateur de documentaire fantoche, vicieux et avide de sang ( « Terre brûlée »), qu’il soit témoin de la présence de vrais cinglés au sein de cette guerre Impossible (« Oiseaux de proie »), ou bien encore témoin direct de la criminelle mauvaise qualité des armements (« Le Blues du 5,56 »), l’auteur montre la réalité crue du quotidien des soldats. Et comme il le dit lui-même : « J’en venais à me demander combien de temps je mettrais à devenir aussi dingo que les autres, et si je m’en rendrais compte.. mais ce ne serait probablement pas le cas. »
Si « Ernie Pike » ne faisait que raconter des histoires, lui les a vécues et en est revenu. En lisant ce journal, on pense donc d’avantage au cinéma qu’à d’autres comics, et des images des films « The Deer Hunter » (« Voyage au bout de l’enfer »), « Platoon » ou « Apocalypse Now », voire « Mash », le genre ayant d’ailleurs participé à l’époque à l’acceptation de son projet chez Caliber, viennent à l’esprit. « Mon dernier jour au Vietnam » de Will Eisner (Delcourt 2000), tout comme « Nam Days » (1) de Haldeman, et ses mots dans le prologue de sa « Guerre éternelle » (Dupuis 1988) restent cependant des lectures conseillées. 
« Vietnam journal », en sus des récits très bien écrits et dessinés, dans un style graphique noir et blanc à la fois réaliste et caricatural, pourra à la fois évoquer Rand Holmes et Howard Cruze. Il permet de découvrir le superbe travail de Don Lomax et est accompagné d’une introduction de Garry Reed, l’éditeur des collections chez Caliber comics, reprenant les comics originaux de Apple comics. Une biographie scindée en deux parties (rabat et dernière page) est aussi présentée, tout comme un épisode de 4 pages final racontant le premier engagement au Vietnam, et 4 inter chapitres documentant des soldats disparus. La présentation de l’album, format comics, dos carré collé en cartonnage souple, avec rabats, est un choix à la fois inédit et bienvenu dans le catalogue Délirium, présentant habituellement des albums grand format cartonnés. Le choix d’un journal, bien sûr, qu’on peut amener avec soi sur le front, of course. Une découverte du tonnerre, qui devrait voir venir des suites, on l’espère, puisque la série principale compte 16 épisodes, et que Don Lomax a aussi réalisé dans le même genre : Fire team, The Nam’, High Shining Brass, Vietnam Journal Tet’68, Vietnam Journal: Series Two, Gulf War Journal...etc.
Franck GUIGUE
(1) « Nam Days » est un carnet mêlant textes et dessins, édité par Dupuis et offert avec le tome 4 de l’album « Dallas Bar » de Joe Haldeman et Marvano, en 1999. Joe Haldeman y raconte ses souvenirs de bidasse au Vietnam (il a été mobilisé en 1968 et a sauté sur une mine). Ces souvenirs ont donné lieu à des romans, publiés dés 1974, puis à des albums BD, dont sa série de Science-fiction «La Guerre Eternelle ». Un auteur et des séries marquantes.
« Vietnam Journal » par Don Lomax
Éditions Délirium (20 €) – ISBN : 979-10-90916-49-4