Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...L’ombre de la mort face aux « liens du sang » !
Avoir une famille heureuse et unie, quel doux rêve ! Mais quand une mère est trop protectrice avec son fils et qu’en plus, elle en arrive à tuer pour le protéger, cela finit par devenir un cauchemar. Si l’on n’y prête pas attention, la famille de Seiichi paraîtrait banale. Le garçon ne remarquait même pas que sa mère le couvait un peu trop jusqu’au jour ou tout a basculé. La nouvelle œuvre de Shuzo Oshimi frappe fort dès le premier tome avec cette histoire fascinante et dérangeante comme il sait si bien les conter.
Seiichi est un garçon banal. Son père est salarié et travaille beaucoup, sa mère reste à la maison pour s’occuper du foyer. L’enfant fréquente une petite école de province où il a quelques amis. Il y a même une fille qui l’aime bien et souhaiterait passer plus de temps avec lui. Pourtant, du temps, il n’en a pas beaucoup, en ce moment. Sa tante et son cousin s’incrustant de plus en plus pour notamment jouer aux jeux vidéo. De discussion en discussion, l’attention excessive que lui porte sa mère va être abordée. Seiichi ne le remarque pas, mais son cousin et surtout sa tante trouvent qu’elle couve trop son enfant. Elle est, en effet, peut être protectrice, mais pas encore à l’excès. Comme l’été arrive avec sa chaleur moite, les vacances vont être organisées en famille. Seiichi va devoir passer encore plus de temps avec son cousin. Lors d’une randonnée qui a commencé de manière bon enfant, la mère de Seiichi commet l’irréparable en poussant le fils de sa soeur du haut de la falaise devant les yeux ébahis de son enfant. La véritable histoire toxique peut commencer.
Shuzo Oshimi, a déjà à son actif de nombreuses séries traduites en français. « Les Fleurs du mal » chez Ki-oon, « Happiness » chez Pika et « Dans l’intimité de Marie » chez Akata. Le point commun de toutes ces histoires, c’est qu’elles arrivent à mettre le lecteur mal à l’aise en mettant en avant certains côtés malsains de l’humanité. Ce sentiment étant en plus renforcé par un dessin très brut. Shuzo Oshimi n’utilise pas de trame pour ombrer ses cases, il hachure grossièrement ses planches avec un mouvement de plume vif. Il crée ainsi des accidents qui donnent de la vie à ses personnages tout en leur conférant une personnalité propre. En plus, l’action se passant en plein été, tout le monde dégouline de sueur dans la chaleur moite caractéristique de cette saison au Japon. L’atmosphère déjà étouffante l’est encore plus. On ne sait donc plus vraiment à cause de quoi les acteurs de ce drame sont en nage. Le côté immoral est ainsi balayé pour faire place à une tragédie qui va souiller la jeunesse de Seiichi.
Ce premier volume démarre plutôt tranquillement en nous présentant la famille de Seiichi. Sa mère qui, en effet, lui demande beaucoup d’attention. Son père qui doit s’accommoder d’un travail prenant. Ses amis avec qui il s’amuse sur le chemin de l’école. L’apparition d’une fille qui manifestement l’apprécie… Puis on découvre son cousin qui, innocemment, lui répète ce que sa mère pense : « Entre nous, tu n’as pas l’impression d’être un peu trop couvé ? Tes parents, ils sont toujours sur ton dos non ? ». C’est à cet instant-là que le lecteur comprend qu’un drame va se jouer. Il n’y avait peut-être pas songé auparavant, mais c’est vrai que sa mère le materne un peu même s’il n’accepte pas de voir ça sous un mauvais angle. Son fil restant toujours son bébé à ses yeux, elle ne se rend malheureusement pas compte qu’il a grandi. Ce trop-plein d’amour n’aurait pas été trop grave s’il n’avait pas poussé cette femme à commettre un meurtre pour ne pas perdre l’emprise qu’elle pense avoir sur sa progéniture. Le visage, en noir et blanc, qu’elle affiche lors de cette scène tragique fait écho à celui qui illustre, en couleur, le cauchemar du début de l’ouvrage où un chat mort resurgit du passé. Un visage apaisé, à l’opposé de ce qu’il devrait montrer dans une telle situation.
Avec « Les Liens du sang », Shuzo Oshimi reste dans son registre sordide habituel. Cette aventure d’une mère toxique et de son fils soumis est aussi captivante que bouleversante. Il aura suffi de douze superbes pages à l’auteur pour décrire un meurtre ignoble faisant basculer ce vaudeville familial en une tragédie oppressante.
Gwenaël JACQUET
« Les Liens du sang » T1 par Shuzo Oshimi
Éditions Ki-oon (7,90 €) – ISBN : 9791032704349