Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Quarante cercueils » chez Mosquito, mais trente ans de bons services, et des bulles toujours dingues !
Les éditions Mosquito ont débuté leur travail de réhabilitation de la bande dessinée transalpine en 1989. Pas qu’elles ne soient attachées qu’à ce pays, mais leur contribution à ce domaine est indéniable et incontournable depuis. Rendons-leur l’hommage qu’elles méritent.
Les éditions Mosquito sont créées en Isère (elles sont toujours basées à Saint Egrève) dans un contexte de fanzine et de développement des festivals BD en plein essor. 1989 était en effet l’année du Salon européen de la BD à Grenoble et Michel Jans et ses collègues, sur la lancée de leur fanzine de bonne qualité Bulles dingues, publiant interviews, chroniques, dossiers et bandes d’auteurs du cru, décident de se lancer dans l’édition de monographies.
Si celles-ci perdurent dans un catalogue fort aujourd’hui de plus de 200 titres, ces études ont été rejointes depuis par une ribambelle d’albums d’auteurs de divers origines, italiens principalement. Car Michel Jans voue une passion particulière pour les fumetti et principalement les auteurs des années soixante-soixante dix et quatre-vingt des éditions Bonelli ayant fait le joie des lecteurs français dans les périodiques des éditions Fleurus, les revues Circus, Charlie mensuel, Corto, ou les albums Glénat du début. On pense bien sûr à Battaglia, mais aussi à Toppi, dont les éditions Mosquito tentent de proposer l’intégralité de l’oeuvre disponible.
Ce que l’on retient de ce travail, avant tout patrimonial, mais aussi de défense d’auteurs exigeants et talentueux, sortant des sentiers archi battus d’une production française souvent trop commerciale, ce sont des albums à la maquette sobre, et aux tarifs de vente plus que correct. Cela participe à ce souhait de démocratisation, de partage d’un fonds exigeant, souvent à forte tendance littéraire et dans une esthétique noire et blanche, sinon recherchée, au moins revendiquée (1). D’ailleurs, quelques albums ont tout d’abord été proposés dans des formats « comics » brochés, comme pour baisser encore davantage les coûts. Une démarche à remarquer. Aujourd’hui cependant, l’ensemble du catalogue est constitué d’albums cartonnés, et les couleurs ont fait leur apparition il y a quelques années, comme quoi rien n’est figé. D’autant plus que certains auteurs, dont Toppi, Casini, Tisselli ou encore Serpieri, pour n’en citer que quelques uns, délivrent des planches dans des chromatiques de toute beauté.
Paolo Eleuteri Serpieri dont Mosquito propose les récits anciens de westerns, souvent inédits en français, publiés la plupart du temps originellement dans des revues italiennes. Lire un dossier à ce propos ainsi que l’annonce du retour de Druuna, héroïne fétiche de l’auteur, en 2019 chez Glénat, sur Bdzoom.com : http://bdzoom.com/140082/actualites/druuna-quinze-ans-apres/
A remarquer aussi : les nouvelles aventures du héros typiquement italien Dylan Dog, dont les histoires fantastiques, souvent mises en images dans des noir et blanc magnifiques sont un régal. Déjà quatre albums parus : trois par Nicolas Mari, et un par Corrado Roi et Barbara Baraldi, chroniqué récemment sur notre site : BDzoom.com/DylanDog-Berceusemacabre
Mais ne nous y trompons pas, Mosquito a su aller plus loin que sa passion pour l’Italie, l’universalité du catalogue étant aujourd’hui remarquable, avec des découvertes d’auteurs espagnols, chinois, finlandais, américains, canadiens, cubains ou belges, sans tous les citer…
Les éditions Mosquito sont toujours responsables de l’organisation d’un festival de BD à Grenoble, même si celui-ci a connu des déboires aux fil du temps. Dans sa toute dernière version (depuis 2018), celui-ci se déroule au Palais du parlement, dans l’ancien Palais de justice, au centre ville.
Pour peu que l’on s’intéresse à la bande dessinée européenne, au fantastique, à l’aventure ou au western, (entre autres genre abordés), et à ce qu’il y a derrière la fabrication d’une Å“uvre de ce type, (via sa collection reconnue de monographies), Mosquito à su s’imposer comme un éditeur incontournable. Bon anniversaire et longue vie à un moustique dont on adore les piqûres !
Parmi les dernières parutions, arrêtons-nous un instant sur « Quarante cercueils » de l’Argentin Jok (dessin) et Rodolfo Santullo au scénario, paru ce mois de mars.
Dans ce récit fantastique revisitant l’arrivée des cercueils du conte Dracula en Angleterre, d’après le roman de Bram Stoker, les auteurs ont souhaité baser leur scénario sur les zones d’ombre de cette aventure maritime. Pour cela ils ont concocté un récit en huis clos si l’on peut dire, se déroulant uniquement à bord du Déméter, le navire maudit, qui, après plusieurs jours de navigation éprouvants va accoster dans le port de Whitby, ce 8 août 189… Avant ce dernier effort, il aura franchi tous les récifs, en pleine tempête, alors que plus aucun vivant n’est à la barre.
Se rendant à bord, les autorités ne trouveront que mort et puanteur, le cadavre du jeune capitaine Strogoff, attaché à la barre, serrant auprès de lui une fiole contenant le journal de bord. Celui-ci détaille ce qu’il s’est passé durant la traversée mais annonce surtout ce qui va suivre…
En quarante-sept pages (la page 3 est numérotée 9), Rodolfo Santullo délivre un scénario assez classique, mais néanmoins prégnant, qui ravira les amateurs de fantastique, même si tout lecteur ou spectateur des films de Dracula retrouvera beaucoup de repères dans cette histoire, suivant d’assez près les événement contés dans le roman de Bram Stoker. « Quarante cercueils » les détaille néanmoins, apportant une ambiance originale grâce au dessin de type « gothique » de Diego Horacio Coglitore, vrai nom de Jok. Les corps sont en effet déformés, les faciès exagérés, dans un rendu intriguant. C’est l’un des principaux attraits de ce court album, dont les couleurs, soit dit en passant, réalisées à l’informatique, auraient peut-être gagnées à l’être en direct. On rêve d’un album de Jok en noir et blanc.
Michel Jans, si vous nous lisez…
Franck GUIGUE
Les éditons Mosquito, à l’occasion de leurs trente ans, ont édité un recueil de cartes postales reprenant trente couvertures emblématiques. Celui-ci est offert pour l’achat de deux albums du catalogue, dans la limite des stocks disponibles. Un beau cadeau, associé à l’édition d’un Tot Bag estampillé Toppi, très réussi aussi.
(1) 165 albums plus 28 Raconteurs d’image et 21 monographies (certaines comme l’une des premières, celle de Schuiten, n’étant plus éditées ici) constituent le catalogue Mosquito début 2019.
« Quarante cercueils » par Rodolfo Santullo et Jok
Éditions Maoqito (14 €) – ISBN : 9782352835141