Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Arthus Trivium », la fantastique alchimie…
Apparue en janvier 2016 avec « Les Anges de Nostradamus », « Arthus Trivium » s’est rapidement imposée comme l’une des plus impressionnantes créations récentes des éditions Dargaud, sublimée par les compositions dantesques et baroques de l’hispanique Raule. Déroulée dans le cadre français et renaissant du XVIe siècle, l’action oppose les disciples (Arthus, Angélique et Angulus) de l’astrologue Nostradamus à des forces surnaturelles, entre peste noire et superstitions paysannes. Ce quatrième opus vient clore le deuxième cycle entamé au tome précédent : tandis qu’Angélique et Angulus enquêtent dans l’atelier du peintre Caron, Arthus et le jeune César font devoir faire face à la redoutable sorcière Mélusine… et son armée invisible de femmes assoiffées de vengeance contre la gente masculine !
Si, fort naturellement, le premier tome (voir article consacré) propulsait ses lecteurs dans le sillage fantasmé de l’apothicaire et alchimiste Michel de Nostredame (1503 – 1566), auteur légendaire des « Prophéties » à partir de 1555, le deuxième volet (« Le Troisième magicien », paru en octobre 2016) laissait à l’inverse la part belle à l’action trépidante contre les sbires de Zagan, horrifique maître démon désireux de détruire une sphère magique servant de remparts contre les puissances infernales. Avec le troisième tome (« La Jeune captive », octobre 2017), l’intrigue se focalisait sur les origines d’Arthus : petit-fils d’une sorcière condamnée au bûcher et jadis recueilli par Nostradamus, notre héros est bien des années plus tard chargé d’enquêter sur la mystérieuse pluie de sang qui vient de s’abattre sur le village provençal de Cucuron. Passionnante, l’intrigue sait développer ses personnages tout en instaurant un climat étouffant et inquiétant, endiguée de thématiques plus actuelles telles que les progrès de la médecine, la lutte des classes, le passage du temps, les rapports entre riches et pauvres ou, donc, les revendications féminines.
Alors qu’Angulus et Angélique sont à Paris et rencontrent le peintre Caron tout en enquêtant sur la disparition d’une jeune fille, à Cucuron, Arthus et César (le jeune fils de Nostradamus) ne découvrent que des femmes, qui plus est hostiles à leur venue… Placé au seuil de dangers multiples et entrecroisés, le quatuor aventureux est un atout dynamique et graphique savamment distillé au sein d’un scénario qui dévoile patiemment les origines, personnalités et capacités des uns et des autres. Empruntant aux arcanes du roman d’aventure, historique et fantastique, « Arthus Trivium » est tout à la fois : ce tiercé multigenre est annoncé sur chacune des couvertures, lesquelles mettent en avant l’action, l’opposition entre ombres et lumières, le mystère ésotérique et la présence obsédante de la mort ; on remarquera à ce propos le subtil trompe-l’œil figurant sur le visuel du tome 3.
Disons également un mot de l’étymologie nominale de la série : « Arthus » (dérivé celtique d’Arthur) pour l’homme-ours (mélange d’intuition et de force) et « Trivium » tant pour l’embranchement à trois voies que pour l’enseignement médiéval comprenant la grammaire, la rhétorique et la dialectique. Un savoir et un accomplissement que ne renieraient pas les philosophes de la Renaissance, de Paracelse (1493 – 1541) à Cornelius Agrippa (1486 – 1535) ou Nicolas Flamel (1330 – 1418). Une alchimie qui irrigue indéniablement « Arthus Trivium » avec un très beau savoir-faire, adoubé par Enrico Marini (« Le Scorpion ») dès la préface du tome 1 : « Quand mon éditeur Yves Schlirf m’a fait découvrir le travail de Juan Luis Landa, j’ai été tout de suite été conquis par l’atmosphère de son art. Son dessin est vivant et somptueusement couronné par une couleur toute en nuances.[…] Ce sont des albums de [cette] qualité qui me motivent à faire ce beau métier et à affronter tous les jours la maudite feuille blanche. […] Vive la concurrence, quand elle est si excellente ! »
Philippe TOMBLAINE
« Arthus Trivium T4 : L’Armée invisible » par Juan Luis Landa et Raule
Éditions Dargaud (14,00 €) – ISBN : 978-2505070542
Vous trouverez bien des renseignements sur l’alchimie chez les Éditions Beya.
Cordialement