Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Hope One », l’espace en huis-clos…
2020. Après 49 ans de sommeil, Megan Raush s’est réveillée à bord du Hope, un vaisseau en orbite géostationnaire autour de la Terre. Il n’existe aucun autre signe de vie humain, mis à part Adam, son seul partenaire à bord… Sans souvenirs, paranoïaque, la jeune passagère se questionne sur le cataclysme ayant ravagé la planète bleue. Dans ce diptyque programmé sous forme d’un huis-clos haletant, ‘Fane sonde les lueurs de l’âme humaine : dans l’espace, personne (ou presque) ne vous observera devenir fou !
Stéphane Deteindre – dit ’Fane – est bien sûr pour nombre de lecteurs et de motards le fameux coauteur (avec Bar2) du drôlissime « Joe Bar Team » (8 albums et autant de hors-séries, publiés entre 1990 et 2014 chez Vents d’Ouest). Outre « Rally Raid Calagan » (2000 ; scénario de Pat Perna et Jean-Pierre Fontenay) et « Gemma » (2009 – 2010 chez 12bis ; scénario par Nadje), cet ancien membre de la petite agence publicitaire Twin Cam a su rebondir graphiquement ces dernières années avec le formidable « Streamliner » (2 albums parus chez Rue de Sèvres en 2017 ; voir article associé) et préciser son amour de la science-fiction avec un hommage aux univers de Stefan Wul en 2015 (Ankama). La SF, genre ultime et genre introductif pour ‘Fane qui signera à ses tous débuts (sous le pseudonyme Stefane en 1992), l’album « Skud T1 : Les Passeurs d’Egyd » chez Vents d’Ouest, déjà scénarisé par l’ami Pat Perna.
Annoncée lors du Festival Quai des Bulles de Saint-Malo en 2017, la fusion entre les éditions Glénat et les éditions montpelliéraines Comix Buro (fondées en 2007 par Agnès Charvier, Olivier Sztenjfater (le créateur d’Attakus) et l’auteur Olivier Vatine) avait pour but initial le développement d’un ambitieux programme éditorial d’une vingtaine de titres par an. Un pari déjà réussi avec des parutions chez des éditeurs tiers (telles « Infinity 8 », « Streamliner » pour Rue de Sèvres, « Les Univers de Stefan Wul » pour Ankama) ou des chantiers désormais ouverts dans tous les genres (citons par exemple le fantastique avec le récent « La Mort vivante » de Vatine et Varanda (2018) ; la SF avec « L’Orphelin de Perdide » (Régis Hautière et Adrian, 2018) ; l’historique avec « Rendez-vous avec X », adaptation par Patrick Pesnot des émissions de France Inter, à paraître en février 2019), ce avec des auteurs reconnus (Dominique Bertail, Didier Cassegrain, Dobbs, Aurélien Ducoudray, Laurent Galandon, Régis Hautière, Lewis Trondheim, Jim, Alberto Varanda).
Un hublot en cinq parties circulaires reflétant l’immensité noire et bleutée du cosmos, la présence (si proche et si lointaine) de la Terre, un visage féminin au regard plein d’espoir tourné vers l’humanité terrestre, le vide froid et métallique de l’environnement du vaisseau ou de la sonde spatiale, la claustrophobie inhérente au gros plan sur le casque en verre pressurisé… En cette année anniversaire de la conquête lunaire, et plus largement du rêve spatial, les ingrédients composant le visuel comme le titre de ce premier volet de « Hope One » sont plus que significatifs. Renvoyant tant aux terreurs des films « Gravity » (Alfonso Cuarón, 2013) et « Alien » (Ridley Scott, 1979) qu’aux interrogations soulevées par « Premier contact » (Denis Villeneuve, 2016) et « Seul sur Mars » (Ridley Scott, 2015), ce premier album propulse son héroïne vers des abysses de solitude et de souffrances psychologiques. Avec ou face à Adam, Megan doit chercher une vérité qui lui échappe et reconstituer le fil d’une histoire longue d’un demi-siècle. Quid par exemple des autres couples en léthargie, réfugiés dans une douzaine de capsules Hope identiques ? Paradis ou enfer intersidéral, comment agir, survivre et retrouver l’espoir de voir le sol terrestre, d’où aucun message radio n’émane ? Ce d ‘autant plus que l’étrange comportement d’Adam envers Megan (pièces interdites et alimentation droguée) ne simplifie pas les choses… Stylisant et appuyant son trait à la manière des comics, ‘Fane construit patiemment un récit sous tension et glisse volontairement vers l’ambivalence des êtres, des dialogues et des décors durant 72 pages. Entre malaise et mystères, le lecteur devra patienter un peu, car les réponses au suspense ne seront délivrées que dans le tome 2, à paraître dès le mois de mai 2019.
Philippe TOMBLAINE
« Hope One » T1 par ‘Fane
Éditions Comix Buro/Glénat (15,50 €) – ISBN : 978-2344031407