Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Avec « La Venin », Laurent Astier livre un western au féminin, qui raconte les échappées tumultueuses d’Emily, fille de prostituée de Louisiane (elle-même également, un temps), sur fond de vengeance et de poursuites. Un excellent dessin réaliste mettant clairement en scène une intrigue solide et prenante. Premier tome à suivre.
À la Nouvelle-Orléans en 1885, la petite Emily, environ 6 ans, côtoie le milieu de la maison close où travaille sa mère, et ne cherche qu’à en partir. Avec un saut de 15 ans, nous la retrouvons en 1900, où jeune adulte, elle arrive à Silver Creek (Colorado) pour se marier avec Benjamin Cartridge. Mais celui-ci est mort quelques jours plus tôt et elle doit donc chercher du travail. Compte tenu de ses charmes, de ses antécédents et du peu d’offres différentes, elle retombe dans ce milieu de prostitution, à ses conditions cependant.
Plusieurs retours dans le passé éclairent l’enfance d’Emily, ses problèmes avec sa mère dépassée et exploitée, bien qu’ambivalente. Ces allers-retours ne sont aucunement artificiels mais nourrissent les ressorts de la personnalité de l’enfant devenu jeune femme, déterminée et sachant manier les armes.
A Silver Creek, le Gouverneur du Colorado vient en visite officielle, qu’elle se prépare à assassiner, et y réussit, en fuyant aussitôt. L’agence Pinkerton est à ses trousses. Involontairement, elle trouve refuge auprès des Indiens, et malgré la méfiance, l’estime est réciproque. L’armée la rattrape et la recueille sans connaître ses méfaits, mais l’histoire n’est pas finie …Qui est donc ce mystérieux personnage qui la protège à son insu ?
On pourrait y voir une BD féministe de plus, même par un homme, mais il s’agit surtout d’une BD au féminin qu’offre Astier. Solide, dense en action et en moments bien sentis, très bien mise en scène, elle prend le lecteur de bout en bout, et pas seulement grâce au caractère trempé de l’héroïne. Un mot de l’excellent dessin de l’auteur, responsable à 100 % de cet album. Dans la lignée des artisans des canons de la BD western « classique » – celle qui a fait et fera encore ses preuves en dépit des nouvelles vagues -  héritée de Jijé, Giraud, Rossi, puis surtout celles de Cuzor, Meyer par exemple, pour des comparaisons plus actuelles et plus justes (de sacrées références !), sa mise en place impeccable décrit les grands espaces, les individus, les situations, en variant les points de vue et cadrages, et ménage des respirations pour deviner les pensées des protagonistes (sauf Emily, volontairement opaque : que cherche vraiment Emily ?), sentir l’ambiance du milieu, naturel ou urbain. Derrière l’album d’action, pour le plaisir, on sent en effet un propos d’auteur. Ajoutons que la couleur, particulièrement soignée, pertinente et souvent évidente bien que parfois pas si classique, soutient le tout avec véracité et atmosphère.
On remarquera des allusions assumées au western italien, dans une similitude avec le début d’ « Il était une fois dans l’Ouest » de Sergio Leone (la prostituée arrivant à la gare alors que son futur mari est mort, la même carriole, le sable rouge) et vraisemblablement dans le nom de Charly Siringo (personnage dans « Le dernier face à face » de Sollima). [Eh oui, les jeunes bédéastes français semblent mieux connaître leur cinéma que leurs collègues jeunes réalisateurs ...]
L’ensemble fait clairement gagner des galons à Laurent Astier : la qualité est nettement supérieure à tout ce qu’il a réalisé auparavant. Il faudra donc compter avec lui dans le genre et au-delà à l’avenir. Une réussite, un bel album. Vivement la suite, car l’auteur a ménagé des zones d’ombres et des ouvertures.
Patrick BOUSTER
« La Venin T1 : Déluge de feu » par Laurent Astier
Éditions Rue de Sèvres (15 €) – ISBN : 978-2-369-81583-9