« La Langue du Diable » par Andrea Ferraris

Salvatore et Vincenzo sont deux frères qui vivent ensemble et pauvrement dans une masure au bord de la mer. Ils sont pêcheurs ou journaliers et tentent de survivre, là, au sud de la Sicile, près de Sciacca, mais on est en 1831 et le tourisme n’a pas encore enrichi ces terres, loin de là ! Il suffira d’une autre île, improbable, pour que le destin de ces deux hommes bascule…

Dans un noir et blanc charbonneux, digne des cendres de l’Etna, non loin, Andrea Ferraris brosse une chronique villageoise qui a précisément à voir avec le volcanisme. Mais c’est d’abord le récit d’une fraternité, au sens propre, le grand frère s’épuisant à travailler pour que son jeune frère apprenne à lire et à écrire. C’est Donna Antonia qui donne des cours. Salvatore en est terriblement amoureux, mais le père d’Antonia, riche propriétaire, a d’autres ambitions que ce gueux ignorant, pour sa fille.

Alors Salvatore noie son chagrin dans l’alcool, moqué par ses congénères de bistrot qu’il affronte régulièrement. Irascible, violent, l’amoureux fou sombre peu à peu jusqu’au jour où, là-bas, en mer, face au village, des fumées, des flammes se mettent à jaillir de l’eau. C’est bientôt une vraie colonne de feu qui s’élance, « la langue du Diable », dit le curé, l’Enfer à portée de rames d’autant que peu à peu à la base de ces jaillissements, une île volcanique émerge, se développe et attise bientôt les convoitises.

Salvatore est le premier à y poser le pied, par curiosité, le premier mais pas le dernier. Anglais et Français veulent s’approprier cette terre stratégique et c’est pour Salvatore un nouveau combat : prouver qu’il fut le premier et donc, qu’il est le propriétaire de l’île. C’est la loi !

Cette histoire émouvante est tirée de la réalité car cet ilot volcanique éphémère a bel et bien existé, ce que rappelle l’épilogue. En prime, l’album propose quelques pages de l’« Histoire et géographie d’une île » joliment rédigées en 1831 par le géologue Constant Prévost au sujet du nouveau volcan apparu au sud de la Sicile et qu’il observa en compagnie du peintre Antoine-Edmond Joinville. Son « Île de Julia : vue du volcan » est au Musée du Louvre, mais sous le nom d’île Ferdinandea qu’elle est réellement recensée . Ferraris a tissé autour de ce fait historique une intrigue psychologique qui en fait tout l’intérêt. Les deux frères sont terriblement attachants et on quitte difficilement ce huis-clos insulaire, d’autant que le dessin au crayon de l’auteur est indéniablement puissant.

Son trait réaliste est d’ailleurs beaucoup moins caricatural que dans son « Churubusco » dont nous avions vanté les qualités ici-même, sur BDzoom. Signalons encore que les éditions Rackham ont publié en juin dernier, dessiné par Andrea Ferraris mais sur scénario de Renato Chiocca, « La Cicatrice », un album consacré à la frontière construite entre Mexique et États-Unis. Les auteurs ayant « visité » ces lieux en ont rapporté des témoignages, notamment de ceux qui portent de l’aide aux migrants, et un récit dénonçant l’absurdité de ce mur honteux.

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« La Langue du Diable » par Andrea Ferraris

Éditions Rackham (22 €) – ISBN : 978-2-8782-7229-1

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