Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Sleeping Charon » T1 par Sayaka Mogi
« Abandonnez tout espoir, vous qui passez cette porte » : voilà l’avertissement gravé dans une langue sibylline (1) devant laquelle des formes mazouteuses tout aussi énigmatiques se dandinent nonchalamment. Une introduction bien cauchemardesque pour ce manga aux allures de conte enfantin.
Dès les premières pages, on suit les déambulations d’une forme noire qui semble effrayée par ce monde qu’elle ne connaît pas. Une fois la fameuse porte passée, un garçonnet va commencer à se matérialiser sous cet amas informe. Les décors vont devenir plus figuratifs. La noirceur va petit à petit s’estomper jusqu’à ce qu’apparaisse Charon, une jeune fille qui accueille chaleureusement ce jeune garçon, qui n’a clairement aucune idée de ce qui lui arrive. Il ne sait ni qui il est ni où il se trouve. Serait-il simplement amnésique ?
Charon appelle ce nouveau venu : « mon Prince », mais pourquoi ? Il lui manque clairement des informations pour comprendre la situation peu rassurante dans laquelle il se trouve. Si certains protagonistes semblent bien humains, beaucoup d’autres n’apparaissent que sous forme d’ombres informes. Du coup le lecteur se met immédiatement dans la peau de ce garçonnet puisque lui aussi est totalement perdu. Les situations sont tantôt effrayantes tantôt festives. La jeune Charon déborde de vie, mais semble également cacher une étrange personnalité assez morbide.
« Sleeping Charon » c’est un peu « Hansel & Gretel » dans l’univers de Tim Burton, un manga sucré/salé loin d’être déplaisant, mais que l’on appréhende forcément de goûter. Le début est volontairement énigmatique et oppressant. On est dans une succession de pages particulièrement noires, rehaussées de couleurs criardes. Puis l’angoisse se fait encore plus ressentir avec les pensées d’une personne que l’on n’a pas encore identifiée et qui semble n’avoir aucune échappatoire.
Sayaka Mogi a déjà été publié chez Komikku à la même période il y a deux ans avec « Pupa ». Ce titre exploitait également la peur, mais dans un contexte moins enfantin. Le trait était moins assuré qu’aujourd’hui. On peut clairement voir le travail accompli entre les deux œuvres. Il est indéniable que l’auteur maîtrise mieux les corps enfantins dans un univers surréaliste à la Lewis Carrol. Le dessin est souple et les formes tout en rondeurs contrastent avec la dureté du sujet.
Ce manga est assez perturbant et encore une fois à ne pas mettre entre toutes les mains. Même si le dessin au premier abord semble mignon, le scénario va finir par dévoiler la vérité sur toutes ces ombres errantes. Un titre intrigant et délicieusement malsain en seulement trois volumes.
Gwenaël JACQUET
« Sleeping Charon » T1 par Sayaka Mogi
Édition Komikku (7,99 €) -ISBN : 978-2372873741
(1) :sibylline pour le protagoniste qui tente de le lire, car cela ressemble fortement à de l’italien.
NEMURERU MORINO KARON © Sayaka Mogi / Kodansha Ltd.